(Toronto) Jannik Sinner a attendu longtemps. Plus de deux ans, pour être précis. Cette période peut sembler relativement courte à l’échelle d’une vie humaine. Mais pour un joueur de 21 ans ayant entamé sa carrière il y a cinq ans à peine, c’est une éternité. L’attente est terminée. L’Italien a finalement remporté son premier titre en Masters 1000.

Lorsque Alex de Minaur a envoyé son dernier coup droit dans le filet, Sinner était enfin libéré. La foule s’est levée, mais lui s’est penché. Sur sa ligne de fond, il a posé sa main gauche sur son genou. Avec son autre main, il donnait des coups sur le sol avec le dessus de son cadre de raquette. Sûrement parce qu’il n’y croyait pas. Ou peut-être piochait-il pour chaque fois où il est passé près du but en finissant par échouer.

En gagnant l’Omnium Banque Nationale de Toronto, dimanche, en deux manches de 6-4 et 6-1, il venait aussi d’obtenir son premier titre dans la catégorie de tournoi la plus prestigieuse après ceux du Grand Chelem.

« J’ai commencé à penser que j’avais le niveau nécessaire à partir de l’an passé, a avoué le champion avec son trophée en bronze, juste devant lui, en conférence de presse après le match. Je sais maintenant que je peux aller un peu plus loin dans les tournois, surtout cette année en faisant des demi-finales et des finales. »

Je savais que j’allais pouvoir gagner un titre un jour.

Jannik Sinner

Hubert Hurkacz et Daniil Medvedev l’avaient battu en finale du Masters de Miami en 2021 et en 2023. Hors de question, cette fois, de laisser passer sa chance.

« Chaque finale est différente. Lorsque tu joues pour un trophée si important et que tu deviens un peu habitué, tu parviens à mieux contrôler tes émotions avant et pendant le match. Je pense que dans tous les aspects, j’ai mieux fait que dans les deux finales précédentes. »

Innover pour gagner

La veille, Sinner avait avoué ne pas aimer parler publiquement de son plan du match. Comme la plupart des joueurs, d’ailleurs. Une fois sur le terrain, on a compris pourquoi.

Sans se dénaturer complètement, l’Italien a ajusté et transformé plusieurs éléments dans son jeu, spécialement pour cette finale.

PHOTO DAN HAMILTON, USA TODAY SPORTS

Jannik Sinner

Sinner et de Minaur sont deux joueurs ayant fait leur renommée grâce à leur constance en fond de terrain. Ils ont martelé leurs adversaires respectifs toute la semaine en retournant tout et en catapultant des missiles toujours bien placés.

De Minaur, notamment, a fait parler de lui à Toronto en raison de sa combativité. Si une balle était en jeu, l’Australien était là pour la retourner.

Sinner savait très bien à qui il avait affaire. Il est monté davantage au filet, remportant tous ses points en haut de terrain. Mais il est surtout allé chercher des angles d’attaque spectaculairement efficaces. Avec ses schémas au service ou même avec sa capacité à accentuer le rythme de chaque échange, de Minaur a beau exceller, il ne peut quand même pas ajouter des centimètres à sa raquette sur chaque dégaine.

« Parfois, il faut changer les choses un peu et aujourd’hui, c’était un peu la solution. Je voulais aussi faire quelques enchaînements service-volée, mais je ne servais pas très bien. Et il y a encore des trucs à améliorer dans certaines situations précises », a souligné le grand rouquin.

PHOTO JOHN E. SOKOLOWSKI, USA TODAY SPORTS

Alex de Minaur

Sinner a terminé le match avec 14 coups gagnants, mais aussi avec 16 fautes directes. C’était son pari. Attaquer et agresser son adversaire. Il y est allé le tout pour le tout.

Comme de Minaur, faut-il souligner. En fait, par la nature de son jeu, le 18joueur mondial est encore moins porté vers l’offensive que Sinner. Néanmoins, dès le premier point de la rencontre, l’Australien est monté au filet. Sa stratégie, et surtout son message, était claire et même quelque peu surprenante. Il y est retourné sept fois au cours du match. Même en situation de balle de bris. Perdant le point la moitié du temps.

« Jannik est un sacré joueur, a lâché de Minaur. Il a une des frappes les plus lourdes que j’ai vues en fond de terrain. Je pense qu’il a pu exécuter son plan de match un peu mieux que moi. »

De Minaur aspire néanmoins à gravir les échelons. Il s’agissait de sa première finale en Masters 1000, et le joueur de 24 ans s’emparera du 12rang mondial, ce lundi. Un sommet en carrière.

Et j’ai encore plein de choses à améliorer. Donc la suite est plutôt excitante.

Alex de Minaur

C’est grâce à des semaines comme celle-ci, et des matchs comme celui-là, qu’il pourra réellement aspirer à intégrer le top 10.

De Minaur a été d’un commerce fort agréable toute la semaine. Il a même surpris les membres des médias québécois en acceptant de répondre à quelques questions en français. Pour l’Australien, le classement n’est qu’une statistique. Il veut d’abord et avant tout être fier de lui. Il veut ressentir la joie l’envahissant grâce à cette semaine le plus souvent possible avant de penser à un classement.

« Beaucoup de gens ne réalisent pas à quel point c’est difficile de se retrouver dans la position dans laquelle je suis et le travail que ça demande. […] Je veux être heureux, lorsque je serai retraité, assis sur mon canapé, et que je repenserai à ma carrière en me disant que j’ai accompli de grandes choses grâce à mon travail acharné et à ma détermination. »

Un gentil champion

La semaine dernière, La Presse avait rencontré Sinner, dans un entretien en marge du tournoi. Au cours de cette rencontre, le huitième joueur au monde avait ciblé le fait de rester lui-même comme étant sa priorité dans tout ce brouhaha qu’était devenu le cirque du circuit ATP.

Il avait évoqué être toujours insatisfait de son classement, même s’il pensait s’être amélioré au cours de la dernière année.

Grâce à ce gain au Canada, il sera sixième au classement de l’ATP.

PHOTO DAN HAMILTON, USA TODAY SPORTS

Jannik Sinner

Ce triomphe lui permettra d’arriver avec panache dans les prochains tournois. Surtout aux Internationaux des États-Unis, dans quelques semaines. Même s’il avait déjà sept titres sur le circuit, cette victoire pour le moins significative lui confirme qu’il est capable d’être juste et solide dans les grands moments.

« Ça me procure beaucoup de confiance. Mais j’ai hâte de voir comment ça se traduira. Mais comme ma confiance, mes attentes seront un peu plus élevées dorénavant. »

Sinner est un champion ordinaire devenu extraordinaire au bout de sept jours en Ontario. Qui est resté le même malgré la gloire et qui compte poursuivre ainsi parce que ça lui fait plutôt bien.

Il aime faire du ski et vient d’un petit village du nord de l’Italie. Il est encore gêné devant les caméras et il peine parfois à comprendre comment il a pu se retrouver sur la plus grande scène du monde.

À la fin du point de presse, après avoir reçu un uniforme des Blue Jays de Toronto à son nom, Sinner s’est emparé de son téléphone cellulaire pour lire ses messages textes et y répondre, comme l’aurait fait n’importe quel jeune homme de 21 ans à la suite du plus bel accomplissement de sa vie.