Le chauffeur de taxi regarde l'adresse griffonnée sur un morceau de papier: «Esporte Clube Bahia, Fazendão, Jardim das Margaridas». Quelques secondes plus tard, l'homme dans la trentaine se retourne en me montrant un coussin à l'effigie du club et m'avoue qu'il en est un grand partisan.

Soupir de soulagement, je ne suis pas tombé sur un amoureux de l'autre grande équipe de Salvador, l'Esporte Clube Vitória. C'est même une grimace et un large geste du bras qu'il effectue quand j'évoque, dans un portugais médiocre, son équipe rivale. Comme à Rio de Janeiro avec le FlaFlu, contraction du derby Flamengo-Fluminense, Salvador possède un BaVi qui divise la ville en deux depuis les années 30.

Bahia a remporté le premier championnat brésilien, en 1959 et a été sacré pour la deuxième et dernière fois, en 1988. Le club formateur de Dani Alves domine également au palmarès du Championnat de l'État de Bahia même si Vitória a largement eu le dessus lors de la dernière décennie.

«Ce sont deux clubs qui se vouent une haine réciproque. Mais contrairement aux autres États du Brésil, comme São Paulo et Rio, c'est une rivalité saine. Il y a moins de bagarres, même si les matchs sont toujours très tendus, révèle Nelson Barros Neto, directeur des communications de Bahia. L'année dernière, les bonnes performances de Vitória ont même provoqué des changements au sein de notre direction. C'est un derby qui peut aussi être déterminant dans la carrière d'un joueur. Cela peut l'élever au rang d'idole s'il joue bien ou le condamner s'il joue mal.»

En ce milieu d'après-midi, l'activité bat son plein au centre d'entraînement de Fazendão, situé dans le modeste quartier de Lauro de Freitas. Derrière les grilles bien protégées du club, l'énergie contraste avec celle des environs où tout semble se passer au ralenti. Les joueurs du centre de formation s'entraînent sur trois terrains distincts, en contrebas du siège social. Un peu plus loin, l'équipe professionnelle répète ses gammes à huis clos.

Si l'effectif est essentiellement composé de joueurs brésiliens - certains comme Lincoln sont passés par l'Europe, quelques étrangers portent les couleurs tricolores de Bahia. Les Argentins Emanuel et Maxi Biancucchi sont les cousins de... Lionel Messi. Amauri, Brésilien naturalisé italien devrait arriver dans les prochains jours. Au rayon des curiosités, Freddy Adu a également disputé sept matchs, ici, il y a quelques mois.

Quand il s'agit de recrutement, le club fondé en 1931 n'a pas les mêmes moyens que ses concurrents qui dominent la scène brésilienne. «Il y a un abîme entre les clubs des différentes régions. Par exemple, les clubs Flamengo à Rio et Corinthians à São Paulo reçoivent 100 millions de réais en revenus publicitaires du réseau de télévision Globo tandis que Bahia reçoit 30 millions, illustre Barros Neto. On doit compter sur la passion des partisans et sur les membres associés du club. On doit faire des choix prudents et judicieux, de bonnes embauches ponctuelles, sans aller chercher les joueurs les plus chers.»

Bahia peut aussi compter sur la vente de ses joueurs à des clubs européens. Anderson Talisca, âgé de 20 ans, a récemment été vendu au Benfica Lisbonne pour près de 6 millions de dollars.

Un club plein d'ambition

Ces dernières années, Bahia a connu quelques périodes de turbulences qui l'ont même conduit jusqu'en troisième division. Après une remontée au sein de l'élite, il ne veut plus se contenter du maintien, mais vise une qualification en Copa Libertadores dans les trois prochaines saisons. En attendant l'exécution de cet ambitieux plan sportif, Bahia a su parfaitement profiter de la Coupe du monde.

Aucun autre club n'a eu autant de visibilité depuis le début de la compétition. «On a fait une série d'actions marketing avec les sélections qui jouent à Salvador, indique Barros Neto. Par exemple, Jürgen Klinsmann et Mesut Özil, ancien coéquipier de Lincoln à Schalke 04, ont posé avec le maillot du club. Il y a aussi Manuel Neuer et Bastian Schweinsteiger qui ont fait une vidéo, ce qui a fait la fierté de nos partisans. Puis, nous avons également créé de nouveaux partenariats».

Ces actions ont rapidement eu des effets concrets, selon la directrice du service de marketing du club, Priscila Ulbrich. Dans une entrevue à ESPN Brésil, elle a souligné l'explosion de fans sur Facebook et l'augmentation de 350% des nouvelles concernant Bahia dans l'espace médiatique national et international. Les ventes de maillots se sont également envolées (+30%). Pas de doute, Bahia a déjà remporté son Mondial, même sans y participer.

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Le championnat bientôt de retour

Le public brésilien ne souffrira pas d'un manque de soccer quand la Coupe du monde aura livré son verdict, le 13 juillet, à Rio. Trois jours plus tard, le Brasileirão, le championnat national, reprendra ses droits après une pause d'un mois et demi. En moyenne, 20 000 partisans assistent aux matchs locaux de Bahia. «Ce n'est peut-être pas beaucoup si on compare avec des pays comme l'Allemagne ou l'Angleterre. Pour le Brésil, considérant le prix élevé des billets et plusieurs autres facteurs, c'est très bien», souligne Barros Neto. Le prochain BaVi, quant à lui, est programmé le 20 septembre.

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Deux internationaux à Vitória

Deux joueurs actuels de la Seleçao ont amorcé leur carrière à Vitória, le plus vieux club crée par des Brésiliens. Un tout jeune David Luiz a notamment disputé une cinquantaine de matchs, entre 2005 et 2007. Hulk, quant à lui, y a achevé sa formation avant de disputer deux rencontres de championnat. Il a ensuite mis le cap sur le Japon avant d'être recruté, pour une poignée de millions, par le FC Porto. «Je n'ai pas beaucoup joué car Vitória allait bien à l'époque, avec des attaquants comme Edilson et Obina», a déjà expliqué Hulk à ESPN.