Deux joueurs de l’équipe canadienne de 1986 posent un regard sur celle de 2022

« Ils ont une assurance que je n’ai pas vue chez une équipe canadienne depuis 1986. »

Paul Dolan sait de quoi il parle : il était gardien de la sélection canadienne de soccer qui a disputé la Coupe du monde au Mexique, cette année-là. Il avait notamment permis à son équipe de tenir en échec la puissante France, championne d’Europe, jusqu’à la 79minute. Le Canada s’était finalement incliné 1-0 lors de ce premier match, défaite honorable s’il en est une.

L’équipe de 1986 est la première équipe du Canada – et reste à ce jour la seule – qui a réussi à se qualifier pour un Mondial.

Jusqu’à celle dont il est question lors de cet appel téléphonique avec La Presse. Le groupe actuel n’a pas encore confirmé son billet pour le Qatar en novembre prochain, mais il n’en a jamais été aussi proche : après 11 matchs sur 14, le Canada est premier de l’Octogonale de la CONCACAF. Il est toujours invaincu. Et joue avec une « confiance » et une « fraternité » qui, selon Paul Dolan, se comparent à ce qu’on voyait en 1986.

« C’est une équipe plus talentueuse joueur pour joueur, concède l’analyste des matchs des Whitecaps de Vancouver pour TSN. Mais ça prend aussi un groupe d’individus qui est sur la même longueur d’onde. C’est ce qu’on avait en 1986, avec l’excellent entraîneur Tony Waiters. Et c’est ce qu’on voit maintenant. Tout le monde a cette cohésion et travaille pour le même but. »

Cette foi et cette confiance les uns envers les autres, sur le terrain comme en dehors, sont en train de porter leurs fruits.

Paul Dolan

L’attaquant Dale Mitchell y était aussi, à cette Coupe du monde. Il avait marqué quatre buts en qualifications. Et avait été titulaire pour le dernier de trois matchs au Mexique, contre l’Union soviétique.

Pour lui, cette équipe de 2022 se démarque par la « profondeur de son effectif ». Le bassin de joueurs disponibles pour le sélectionneur Tony Waiters était pas mal plus mince à l’époque, disons.

« Nous devions nous fier à un noyau restreint de joueurs, explique le marqueur de 19 buts avec le Canada, de 1980 à 1993. Quand on est arrivés à la dernière phase de qualifications, Tony Waiters est allé chercher George Pakos. C’était un joueur amateur qui travaillait pour la Ville de Victoria. C’est incroyable. Il a marqué des buts cruciaux qui nous ont aidés à nous qualifier ! »

« De nos jours, plusieurs joueurs évoluent dans d’excellents environnements », ajoute Mitchell, soulignant le fait que nombre d’entre eux jouent en MLS ou foulent des terrains européens professionnellement.

« Ils méritent tout ce qui leur arrive »

Ce qui frappe nos deux interlocuteurs respectivement, c’est la manière avec laquelle le Canada dispute – et remporte – ses matchs de qualifications. On ne parle pas ici de quelques bons résultats ici et là contre des équipes considérées comme plus faibles : l’équipe du sélectionneur John Herdman bat les États-Unis et le Mexique à la maison, et va chercher des points chez ceux-ci.

« J’adore ça, ça me remplit de fierté », se réjouit Paul Dolan.

Il explique que pour se qualifier en 1986, le Canada devait s’assurer de prendre le premier rang de la CONCACAF. Seulement 2 équipes de la région allaient faire partie des 24 nations invitées, et le Mexique était qualifié d’office.

En septembre 1985, la sélection affrontait le Honduras à Saint John’s, à Terre-Neuve. Le vainqueur irait au Mexique y disputer le Mondial. Le Canada allait s’imposer 2-1.

Certains cyniques pourraient avancer qu’il est plus facile aujourd’hui de se qualifier pour le Mondial : les trois premières équipes de la CONCACAF s’y rendent directement, tandis que la quatrième doit passer par des barrages. On y invite maintenant 32 équipes.

Mais avec quatre points d’avance en tête, le Canada domine son groupe.

« Ils seront l’équipe numéro 1, ce qui voudra dire qu’ils se seraient qualifiés dans n’importe quel format, peu importe le nombre d’équipes invitées. »

« Et ils méritent tout ce qui leur arrive, estime Paul Dolan. Ils gagnent intelligemment. Ils gagnent à la dure. Ils gagnent avec de beaux buts et de moins beaux. C’est simplement incroyable. C’est un vrai effort collectif. »

Dale Mitchell l’admet : la position actuelle de l’équipe dans l’Octogonale, c’est « encore mieux que prévu ».

« Personnellement, j’avais en tête que le simple fait de se rendre dans cette phase finale, c’était bien. Cette équipe allait acquérir de l’expérience qui allait être bénéfique pour la prochaine Coupe du monde. […] Mais visiblement, leurs attentes étaient bien plus hautes que ce à quoi on pouvait espérer. Il faut féliciter le groupe pour ce qu’il a accompli jusqu’à présent. »

PHOTO THOMAS SZLUKOVENYI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le gardien Tino Lettieri s’apprête à arrêter le ballon redirigé par Sergueï Rodionov en première demie du match entre le Canada et la Russie, en 1986.

1986, un coup d’épée dans l’eau ?

Dans une entrevue donnée à FIFA TV en 2014, offerte sur YouTube, l’ancien attaquant du Canada Bob Lenarduzzi se désolait qu’aucun véritable legs n’ait émané du périple canadien au Mexique.

« La qualification pour notre première Coupe du monde n’a pas vraiment eu l’impact qu’on aurait pu souhaiter, racontait-il. Toutes ces années plus tard, on n’y est pas retournés. »

Il y a une explication claire, autant selon Paul Dolan que Dale Mitchell.

« La North American Soccer League (NASL) a cessé ses activités à peu près au même moment, note Dolan. Ça voulait dire qu’il n’y avait plus de base professionnelle pour nos jeunes joueurs. Je crois sincèrement que les ligues qui sont apparues depuis la NASL, comme la MLS, ont permis aux jeunes joueurs de se faire valoir. »

Dale Mitchell, aujourd’hui directeur des entraîneurs au Metro-Ford Soccer Club de Coquitlam, à l’est de Vancouver, abonde dans le même sens.

« Je me suis retrouvé à jouer au soccer intérieur pour gagner ma vie, raconte-t-il. Plusieurs d’entre nous ont fait ça. Nous n’avions pas le choix. »

Mitchell se réjouit de la « structure » actuelle du soccer au pays. Les équipes MLS, leurs académies ainsi que la Première ligue canadienne (PLC) sont toutes des trajectoires qui n’existaient pas à l’époque.

Ce qu’on a au Canada maintenant, c’est tellement mieux que ce qu’on avait en 1986.

Dale Mitchell

« Il y a toujours eu de bons joueurs canadiens actifs, ajoute Paul Dolan, mais il n’y a pas toujours eu cette maison comme la NASL pour qu’ils se développent. »

Les succès actuels sont-ils donc le fruit d’un investissement accru de la part de Soccer Canada ? Ou alors peut-on simplement créditer une génération de joueurs qui répondent à l’appel ?

« On a le groupe de joueurs le plus talentueux que nous ayons eu, et on les a tous en même temps », lâche Paul Dolan.

« Au même moment où on a un Alphonso Davies, on a soudainement un Tajon Buchanan qui sort de nulle part. Puis un Jonathan David. Puis il y a Cyle Larin qui arrive du collège et qui devient le meilleur marqueur de l’histoire de la sélection en trois ans seulement. Qui aurait cru qu’on verrait ça un jour ? »

En y ajoutant un noyau fort de leadership, comme le capitaine Atiba Hutchinson ou le gardien Milan Borjan, ça donne un groupe soudé qui croit en ses moyens.

Et un pays qui l’encourage comme jamais auparavant.

« Je ne me plaindrai jamais du soutien qu’on a eu, indique Dolan. Ceux qui étaient là étaient bruyants et avaient de la voix. On avait une bonne foule canadienne qui nous suivait au Mexique. Mais c’est à un autre niveau actuellement. »

PHOTO MOISES CASTILLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jonathan David

Une équipe qui en a vu d’autres

S’ils confirment leur qualification, seront-ils intimidés lorsqu’ils se frotteront aux meilleures équipes du monde au Qatar ?

« Pas du tout », lance Paul Dolan.

« Il n’y a probablement pas d’endroit plus intimidant que l’Azteca, au Mexique. Des équipes européennes vous diraient la même chose. Et ce qu’on a vu de l’équipe canadienne actuelle face au Mexique, c’est qu’elle voulait attaquer et qu’elle ne craignait absolument rien. »

Il souligne aussi l’absence de « bagage émotionnel » issu des insuccès passés de la sélection.

« Alphonso Davies a remporté la Ligue des champions, justifie Paul Dolan. Il a joué contre Messi. Il joue au plus haut niveau et il ne craint rien. Cette confiance se ressent dans toute l’équipe. »

« On a l’impression qu’il n’y a aucun défi trop grand à surmonter. »

Les scénarios

La prochaine fenêtre internationale aura lieu à partir du 24 mars prochain. Chacune des huit équipes de l’Octogonale y disputera trois matchs. Le Canada pourrait confirmer son billet pour le Qatar :

  • s’il gagne contre le Costa Rica le 24 mars, OU…
  • s’il fait match nul contre le Costa Rica et que le Panama fait match nul/perd face au Honduras, OU…
  • s’il fait match nul contre le Costa Rica et que les États-Unis s’inclinent contre le Panama.