Ces derniers mois, le judoka Antoine Valois-Fortier s’est souvent fait rappeler sa défaite cruelle au premier tour du repêchage aux Jeux olympiques de Rio. La Presse a plutôt choisi d’évoquer avec lui un souvenir plus heureux : sa médaille de bronze aux Jeux de Londres, en 2012. Un sentiment qu’il souhaite revivre à Tokyo, le 27 juillet.

« Je pensais qu’on en parlerait 24 heures et qu’on passerait à autre chose… »

Presque 10 ans plus tard, Antoine Valois-Fortier s’étonne encore de l’impact de sa médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres.

Le 31 juillet 2012, au ExCel Center, un immense centre de congrès en bordure de la Tamise, il a réalisé son « plus grand rêve de petit gars ».

Son souvenir le plus vif de l’évènement n’est pas son combat final contre un Américain qu’il connaissait très bien. Ni sa joie brute sur le tatami. Ou encore son accolade émotive avec son père.

Ce qu’il en retient, c’est le bonheur qu’il a transmis. « Ce qui était le fun, c’est de voir à quel point les gens autour de moi étaient super heureux et fiers de ce qui était arrivé, entame Valois-Fortier. Après, ça m’a donné l’occasion d’aller faire partager ma passion à plein de jeunes partout au pays. Tout ce qui en a découlé dans les semaines suivantes, ça m’a vraiment fait triper. »

Le chemin pour se rendre sur le podium n’a pas été une ligne droite. Blessé au dos en 2009, le jeune homme originaire de Beauport doit observer une pause complète d’un an avant de pouvoir reprendre l’entraînement. Cette période, parfois « décourageante », jette les bases de sa discipline à l’extérieur du tatami.

Il revient juste à temps pour le début de la qualification olympique. « Peu de gens avaient misé leur argent sur moi à ce moment-là », se rappelle Valois-Fortier. Il assure sa sélection in extremis grâce à une médaille de bronze aux championnats panaméricains.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Antoine Valois-Fortier

À son arrivée au Village olympique de Londres, l’amateur de sports en lui est ébloui de se retrouver au milieu de vedettes internationales comme l’équipe américaine de basketball ou les grands joueurs de tennis. « C’est plus grand que nature ; tout le monde est hot, tout le monde est beau. »

Avec le début des compétitions, il est surpris de croiser plus d’athlètes déçus qu’heureux dans les coulisses. Cette image tranche avec ce qu’il connaissait des Jeux à la télévision, soit des célébrations et des gagnants qui « croquent dans leur médaille ».

« Je me souviens de m’être passé la réflexion : je ne veux avoir aucun regret. Je veux seulement me battre le plus fort que je peux et maximiser mon temps sur le tapis. »

Le tournoi de judo commence mal pour les Canadiens, qui se font tous sortir rapidement lors des quatre premières journées. L’ambiance est morose.

« Je me suis mis à ne plus avoir peur »

Classé 21e au monde, Valois-Fortier ne fait évidemment pas partie des favoris chez les moins de 81 kg. Son entraîneur Nicolas Gill, médaillé de bronze à Barcelone en 1992, le pense en mesure de causer une certaine surprise. Son défi est de convaincre son jeune protégé de 22 ans qu’il a le potentiel de suivre ses traces.

« Antoine a dû faire tout un cheminement pour croire en ses chances, se souvient Gill. Moi, trois ans avant Barcelone, c’était plus l’inverse. Dans ma tête, j’allais gagner les Jeux olympiques trois fois et personne n’allait me battre ! Antoine avait montré un peu moins de signes que moi. Le travail a été de transformer le petit gars qui espère aller aux Jeux olympiques en quelqu’un qui a une chance légitime d’être sur le podium. C’était plus une affaire mentale que physique et tactique. »

Le tirage au sort ne le favorise pas. Son premier adversaire, l’Azerbaïdjanais Elnur Mammadli, a été médaillé d’or dans la catégorie inférieure quatre ans plus tôt à Pékin. Dans les journaux, Valois-Fortier apprend que le Britannique Euan Burton, qui bénéficiait d’une exemption, tient pour acquis qu’il affrontera Mammadli au deuxième tour.

« Je m’étais dit : “Tu ne peux pas juste m’éliminer comme ça avant que le tournoi commence.” Ç’a été un petit boost d’ego. »

Le Québécois écarte son adversaire de l’Azerbaïdjan à l’issue d’une longue et rude bagarre. Gill craint que le combat suivant contre Burton s’éternise aussi, ce qui saperait l’énergie de son poulain.

Finalement, Valois-Fortier passe un ippon au seul judoka britannique en action ce jour-là. Cette victoire rapide plonge l’amphithéâtre dans le silence. Le vainqueur se sent « comme un joueur adverse qui aurait marqué un but gagnant contre le Canadien au Centre Bell ».

« Je gagnais en confiance, je me sentais bien. J’étais comme le sous-estimé qui n’avait rien à perdre. Je me suis mis à ne plus avoir peur. »

Gill y croit encore plus : « Quand il est sorti du tapis, j’ai dit à son partenaire d’entraînement : “C’est exactement ce dont il avait besoin.” Il avait préservé de l’énergie. Là, il est parti. Je voyais le tournoi se dessiner, les gars qui restaient dans le tournoi. Dans ma tête, c’était clair qu’il allait être autour du podium. Ç’a été un influx de confiance majeur pour moi. »

« C’est là que ça commence »

Valois-Fortier se débarrasse ensuite d’un Monténégrin qui avait peiné à faire le poids. « J’avais bon espoir que si j’arrivais avec beaucoup d’énergie et un bon rythme, il ne serait pas capable de tenir toute la durée du combat. Ce sont des gars qui avaient 10 fois mon palmarès. Étonnamment, je trouvais le moyen d’être confiant. »

En quart de finale, il perd son seul combat contre le Russe Ivan Nifontov, « une petite jambette » que Gill l’invite rapidement à mettre derrière lui. « Si j’avais passé le reste de la journée à ruminer cette défaite, j’allais vraiment le regretter. »

Valois-Fortier passe donc au repêchage. Arrivés la veille à Londres, ses parents, Nathalie Valois et Stéphane Fortier, n’ont pas de billets pour cette séance finale. Heureusement, Gill veille au grain.

« C’était déjà un exploit qu’Antoine soit sélectionné pour aller aux Jeux, raconte son père Stéphane. Tout peut arriver, mais on n’avait pas vraiment d’espérance de médaille. »

M. Fortier, lui-même ceinture noire en judo après avoir suivi les traces de son fils et de ses trois filles, peine à tenir en place. « On était un peu plus haut et on le voyait sortir dans un passage après chacun de ses combats. On faisait bien attention de ne pas prendre de place dans sa bulle. »

De toute façon, Valois-Fortier est parfaitement concentré. À son affrontement de repêchage, il bat facilement un Argentin.

Point important : tout au long de la journée, je ne pensais aucunement au fait qu’on était aux Jeux olympiques et à l’impact que ça pourrait avoir. J’étais juste là pour me battre et avancer le plus loin possible.

Antoine Valois-Fortier

Pour son sixième et ultime combat, avec une médaille de bronze à l’enjeu, Valois-Fortier affronte une vieille connaissance : Travis Stevens, un gars de Boston à qui il s’était mesuré une douzaine de fois dans toutes les catégories d’âge.

« Ma fiche était vraiment mauvaise contre lui, peut-être une victoire et dix défaites. J’avais encore la mentalité du gars qui n’avait rien à perdre. Regarde ma fiche contre lui. Aujourd’hui, on ressaie une autre fois. »

Stevens venait de perdre une décision partagée en demi-finale. Valois-Fortier le sait donc vulnérable après cette défaite crève-cœur. Avant l’affrontement, son entraîneur n’a qu’un message pour lui : « C’est là que ça commence. »

« Ça fait bizarre à dire, mais sérieusement, tu serais surpris à quel point je n’ai rien dans la tête à ce moment-là, relate Valois-Fortier. Je monte sur le tapis, je me fous qui est devant, comment il se sent, comment il réagit. Je rentre, je bats le gars qui est devant et je sors de là avec une médaille olympique. »

« Tu as réussi, Tony… »

« La manche, Tony, la manche ! Balaye la jambe avant ! » Assis en bordure du tatami, Gill hurle ses instructions, un sentiment d’urgence dans la voix. En moins d’une minute, Valois-Fortier inscrit un yuko grâce à une projection.

« Dans ce temps-là, tu te mets en tête de garder ton avance, souligne Gill. Mais en judo, garder une avance quatre minutes quand l’autre n’a plus rien à perdre, ouvre la machine et met de la pression, ça devient extrêmement facile de commettre une erreur. »

Valois-Fortier tient le coup. Juste avant le son de la cloche, son rival tente une manœuvre désespérée, un « Hail Mary » qui ne fonctionne pas.

Instantanément, le judoka est envahi par l’émotion. Son visage se décompose, comme si cette joie était trop pour lui.

PHOTO JASON RANSOM, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Antoine Valois-Fortier aux Jeux de Londres, en 2012

« Je me souviens juste que je ne savais plus quoi faire, où me mettre, où regarder, qui aller voir. Je ne peux pas croire que ça vient d’arriver. Je suis juste super content. »

En sortant, il tombe dans les bras de Gill, qui lui dit : « Je le savais ! » Du coin de l’œil, le coach avait vu Stéphane Valois dévaler les gradins. « Il a manqué piquer une fouille et écraser deux personnes ! », rigole-t-il neuf ans plus tard.

Un bras dans les airs, une main sur le cou de son protégé, Gill le dirige vers son père, qui enjambe une clôture pour embrasser son fils. L’image passera à la postérité. « Tu as réussi, Tony, tu as réussi… »

« C’était son rêve de petit gars d’aller aux Jeux olympiques, de remporter une médaille, rappelle-t-il. Antoine l’écrivait dans de petits livres quand il avait 4 ou 5 ans. »

Après cette médaille historique, la cinquième de l’histoire pour le judo canadien, Valois-Fortier a ajouté trois podiums à des Championnats du monde, égalant ainsi une marque nationale détenue par Gill.

« Cette médaille m’a procuré beaucoup de confiance pour la suite de ma carrière. Elle m’a surtout permis de croire. Croire en mes capacités de pouvoir réussir au plus haut niveau. Elle m’a donné une reconnaissance, une petite notoriété. Ça m’a permis de redonner un peu à mon sport. »

Dix ans plus tard, personne ne l’a oublié.

Regardez le combat