Mon moment fort du Tour de France ? Quand Tadej Pogačar annonce à son équipe qu’il a craqué dans le col de la Loze.

De tous les clips audios diffusés en ondes, une première sur la Grande Boucle, ce fut de loin le plus poignant.

« Je ne suis plus là, je suis mort », déballe le Slovène, factuel, au moment où il se fait décrocher par le groupe maillot jaune.

À ce moment-là, Pogačar aurait pu jeter l’éponge et rentrer penaud jusqu’à la ligne. Pour un double vainqueur, ç’aurait été compréhensible.

Chaperonné par son coéquipier Marc Soler, il s’est plutôt accroché à sa deuxième place, qu’il a confirmée à Paris, dimanche, où s’est conclu le Tour. À l’issue de la 21étape, le Belge Jordi Meeus (Bora) a privé son compatriote et maillot vert Jasper Philipsen (Alpecin-Deceuninck) d’une cinquième victoire.

Pogačar s’est même permis de partir en échappée sur les Champs-Élysées avant de mener le peloton jusqu’à la flamme rouge. Toujours ce plaisir de courir pour celui qui a remporté le maillot blanc de meilleur jeune pour une quatrième année consécutive, un record.

Double gagnant d’étape, le leader de la UAE Emirates a donc vécu un échec à son quatrième Tour. Mais sans sa volonté de rebondir après cette fracture du poignet subie au printemps, ce 110Tour n’aurait pas été le même. Il aurait été réglé après 10 jours, comme à l’époque de Chris Froome ou de Lance Armstrong.

Jonas Vingegaard était simplement dans une classe à part, comme son équipe Jumbo-Visma, malgré la belle tenue de UAE, qui a aussi placé Adam Yates sur la troisième marche du podium.

Malgré l’écart de 7 min 29 s avec la deuxième position, le plus grand depuis Vincenzo Nibali en 2014, Vingegaard en a eu pour ses couronnes danoises avant de décrocher son deuxième titre consécutif après son deuxième rang de 2021. Accessoirement, il me permet également de me vanter d’avoir prédit sa victoire, ce qui n’était pas très difficile même si tout le monde voyait Pogačar.

Le cycliste de 26 ans a annoncé sa participation à la Vuelta, à titre de coleader avec Primož Roglič, sacré au Giro au printemps. L’armada néerlandaise visera un « grand chelem » inédit des trois grands tours.

Le spectre

La domination de Vingegaard et de Jumbo-Visma a évidemment fait renaître le spectre du dopage. Normal dans le sport le plus entaché depuis plus de 30 ans. Or le Danois, son équipe et son entourage ne traînent absolument aucune casserole. Zéro. Niet.

Il est possible d’arguer que les gendarmes antidopage, qui se fient davantage aux renseignements qu’aux tests proprement dits ou aux passeports biologiques pour pister les tricheurs, sont un coup ou deux en retard. De là à conclure que Vingegaard est indéniablement dopé, je passe mon tour, merci.

Un Tour réussi pour Houle

PHOTO FOURNIE PAR ISRAEL-PREMIER TECH

Hugo Houle devant l’Arc de Triomphe

Je me suis réveillé avec une note d’Hugo Houle dimanche matin. Ce n’est pas dans ses habitudes, mais le cycliste m’a relayé un tweet d’un observateur qui faisait le palmarès des coureurs le plus longtemps à l’avant du peloton durant le Tour.

L’Américain Neilson Powless (EF), à la défense d’un maillot à pois perdu à Giulio Ciccone, trône en tête avec 827 kilomètres en échappée. Il est suivi du Français Julian Alaphilippe (798), qui a multiplié les coups d’épée dans l’eau, et du Belge Victor Campenaerts (695), élu super combatif avec raison.

Deux Israel-Premier Tech (IPT) bouclent le top 5 : le Letton Krists Neilands (687) et Houle (576), partenaires de chambre pour un deuxième Tour de suite.

Révélation d’IPT, Neilands est passé à trois kilomètres du premier bouquet de sa carrière. Houle n’a pas été en mesure non plus de gagner d’étape comme l’an dernier. Son Tour est néanmoins une réussite, surtout dans la deuxième moitié, celle qu’il visait.

Au total, il a roulé en échappée dans six étapes, dont une séquence de cinq sur six à partir de la 13étape. Ses plans auraient pu dérailler quand il est tombé malade dans la deuxième semaine.

La stratégie de Jumbo-Visma et UAE, qui laissait peu de champ aux échappées, a compliqué les choses pour tous les attaquants.

« La course est un peu spéciale cette année, a noté le Québécois, 38e au classement général final. Tu arrives dans une échappée et la moitié du top 10 au classement général est là. Avec une arrivée au sommet, qu’est-ce que tu veux faire ? Je reste Hugo Houle, je ne suis pas un grimpeur pur. Je ne peux pas répondre à tout. Je fais avec mes moyens et il n’y a pas trop d’occasions depuis le début. »

La formule gagnante d’IPT

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Israel-Premier Tech avait tout son effectif à l’arrivée du Tour de France.

Avec la seule victoire de Michael Woods au Puy-de-Dôme, IPT a atteint son but au Tour. La moitié des 11 formations au départ est repartie bredouille.

Cela n’égale pas les deux succès et les cinq podiums de 2022, mais l’armada israélo-canadienne s’est montrée encore plus active avec un plan précis et cohérent avec son effectif : viser les étapes.

Après une médaille aux Mondiaux, deux étapes de la Vuelta, Woods continue d’enrichir le palmarès d’une carrière amorcée sur le tard. Une étape sur le Giro et une grande classique – il a fini deuxième de Liège-Bastogne-Liège en 2018 – seraient deux belles cibles pour l’athlète d’Ottawa.

Les huit membres d’IPT ont rallié Paris, soit cinq de plus qu’il y a un an, où la COVID-19 et les chutes ont frappé fort.

Le Néo-Zélandais Corbin Strong s’est très bien tiré d’affaire pour une recrue, terminant deux fois parmi les 10 premiers, dont dimanche à Paris (9e).

Guillaume Boivin, lui, avait mis la table entre les 4e et 3kilomètres, mais il n’avait pas l’air très heureux du positionnement de son jeune compagnon de chambre.

PHOTO FOURNIE PAR ISRAEL-PREMIER TECH

Guillaume Boivin en tête de peloton sur les Champs-Élysées

Forcé à l’abandon avant la 21étape l’an dernier à cause du nouveau coronavirus, le Québécois de 35 ans a pu cette fois goûter à la mythique arrivée sur les Champs. C’était mérité après avoir été un acteur pendant la majorité de son troisième Tour, contribuant notamment à l’échappée gagnante de son ami Woods.

La non-sélection de Chris Froome, une surprise pour nombre d’observateurs, mais pas ses coéquipiers, a envoyé un signal fort avant même le départ.

Le propriétaire Sylvan Adams n’a pas mis de gants blancs pour évaluer son investissement auprès du quadruple vainqueur de la Grande Boucle, dont le contrat qui vient à terme cette année lui rapporterait plus de 5 millions d’euros annuellement, selon le chiffre qui est repris partout.

Froome a-t-il un bon rapport qualité-prix ? « Absolument pas », a tranché Adams dans une entrevue à Cycling Weekly.

« Comment pourrions-nous dire que nous en avons eu pour notre argent ? Nous avons signé Chris pour être le leader de notre équipe du Tour de France, et il n’est même pas là. Donc, cela ne peut pas être considéré comme un bon rapport qualité-prix.

« Chris n’est pas un symbole, ce n’est pas un outil de relations publiques, il est censé être notre meneur sur le Tour de France et il n’est même pas là. Je ne pourrais donc pas dire qu’il en vaut le coût, non. »

L’homme d’affaires et mécène québécois, qui vit maintenant en Israël, maintient néanmoins son engagement initial de permettre à Froome, qui a aujourd’hui 38 ans, de terminer sa carrière dans son équipe.

Le coéquipier ultime

Neuf ans après sa médaille d’or aux Championnats du monde, Michal Kwiatkowski a rappelé pourquoi il est encore l’un des meilleurs du peloton à 33 ans. Lâché à peu près au même moment qu’Hugo Houle dans l’étape du Grand Colombier, le Polonais d’Ineos Grenadiers est revenu de l’arrière pour s’imposer au sommet avant le retour du duo Pogačar-Vingegaard.

PHOTO MARCO BERTORELLO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Michal Kwiatkowski

De nouveau échappé le lendemain, Kwiatkowski a démontré toute sa valeur en contribuant au premier succès d’étape de son jeune coéquipier Carlos Rodríguez à Morzine.

« Ce n’est pas seulement sa victoire [qui m’a inspiré], mais aussi tout son travail et celui de l’équipe », a témoigné l’Espagnol de 22 ans.

« Par exemple, [Michal] était dans l’échappée aujourd’hui et quand on est revenus sur lui, il est allé à la voiture trois fois pour nous rapporter des bouteilles. Tout ça en dix minutes. Il a été incroyable. Ce sont des détails comme ça qui font la différence. »

Avec un tel exemple d’abnégation, Rodríguez pouvait difficilement baisser les bras après sa chute à l’avant-dernière étape samedi. Le visage et la moitié du corps ensanglantés, il est remonté en selle pour sécuriser sa cinquième place au classement général.

On n’a pas fini d’entendre parler de lui. Ni de Kwiato.

Le coéquipier ultime (bis)

Après sa victoire flamboyante en jaune l’an dernier à la quatrième étape de Calais – elle suivait trois deuxièmes places consécutives durant le grand départ au Danemark –, Wout van Aert n’a pas réussi à lever les bras cette année sur le Tour. Malgré de multiples tentatives, l’homme à tout faire de Jumbo-Visma s’est chaque fois buté à plus fort que lui (quatre fois sur le podium, dont deux fois deuxième).

Mais à l’instar de Kwiatkowski, van Aert s’est avéré un atout indéniable pour le maillot jaune Jonas Vingegaard. Sur le plat, en montagne, dans les finals d’étape. Ou dans le Grand Colombier, quand il s’est écarté après avoir fait sa part dans l’écrémage dans le groupe des meneurs. En entendant que Rafal Majka, coéquipier de Tadej Pogačar chez UAE, avait pris sa place en tête, le Belge a sprinté pour revenir et littéralement tasser le grimpeur polonais, à la manière d’un attaquant de puissance au hockey.

Au bout du compte, cette manœuvre, audacieuse et à la limite de la légalité, n’a rien changé au résultat final de l’étape, mais elle a certainement envoyé un important message à Vingegaard et à Pogačar. On ne rigole pas avec lui.

Par ailleurs, van Aert a quitté le Tour après l’étape du col de la Loze, mercredi, pour assister à la naissance de son deuxième garçon. Cette fois, il est arrivé à temps.

Une déception

Hugo Houle n’a jamais reçu la carte postale que La Presse lui avait envoyée au départ de la quatrième étape à Dax. Le village-départ du Tour met une belle boîte postale jaune à la disposition des visiteurs pour encourager leurs coureurs favoris. Manifestement, le service postal du Tour est moins efficace que ne l’était celui de Lance Armstrong…

Le top 10 de la 21étape

  • 1. Jordi Meeus (BEL/BOH) les 115,1 km en 2 h 56 min 13 s (moyenne : 39,2 km/h)
  • 2. Jasper Philipsen (BEL/ADC) à 0 s
  • 3. Dylan Groenewegen (NED/JAY) à 0 s
  • 4. Mads Pedersen (DEN/LTK) à 0 s
  • 5. Cees Bol (NED/AST) à 0 s
  • 6. Biniam Girmay (ERI/ICW) à 0 s
  • 7. Bryan Coquard (FRA/COF) à 0 s
  • 8. Søren Wærenskjold (NOR/UXT) à 0 s
  • 9. Corbin Strong (NZL/IPT) à 0 s
  • 10. Luca Mozzato (ITA/ARK) à 0 s
  • 39. Hugo Houle (CAN/IPT) à 0 s
  • 66. Guillaume Boivin (CAN/IPT) à 37 s
  • 141. Michael Woods (CAN/IPT) à 3 min 25 s

Le top 10 du classement général final

  • 1. Jonas Vingegaard (DEN/TJV) 82 h 05 min 42 s
  • 2. Tadej Pogačar (SLO/UAD) à 7 min 29 s
  • 3. Adam Yates (GBR/UAD) à 10 min 56 s
  • 4. Simon Yates (GBR/JAY) à 12 min 23 s
  • 5. Carlos Rodríguez (ESP/IGD) à 13 min 17 s
  • 6. Pello Bilbao (ESP/TBV) à 13 min 27 s
  • 7. Jai Hindley (AUS/BOH) à 14 min 44 s
  • 8. Felix Gall (AUT/ACT) à 16 min 09 s
  • 9. David Gaudu (FRA/GFC) à 23 min 08 s
  • 10. Guillaume Martin (FRA/COF) à 26 min 30 s
  • 38. Hugo Houle (CAN/IPT) à 2 h 42 min 05 s
  • 48. Michael Woods (CAN/IPT) à 2 h 54 min 47 s
  • 126. Guillaume Boivin (CAN/IPT) à 5 h 11 min 01 s