« Je visais un bon résultat aujourd’hui et j’avais les jambes pour le faire. Malheureusement, on a commis une grosse erreur et ça n’a pas été possible. Je m’en veux et c’est inexcusable… »

Hugo Houle s’est lui-même passé un savon après une étape où son équipe a manqué le bon coup dans la côte d’Ivory.

Ce n’était pas le temps de chercher la belle du même nom quand Kasper Asgreen, Ben O’Connor et Matej Mohorič ont pris la fuite au pied de la dernière difficulté d’une 19étape un peu folle au Tour de France, menée tambour battant dès le kilomètre 0, vendredi.

Déjà que Guillaume Boivin, Simon Clarke et Nick Schultz avaient pédalé comme des déchaînés pour combler l’écart sur la première échappée du jour, ratée par Israel-Premier Tech (IPT), les Norvégiens d’Uno-X et les roses d’EF Education, qui ont également poussé à la roue.

PHOTO FOURNIE PAR ISRAEL-PREMIER TECH

Guillaume Boivin

Quelques rangs derrière, juste devant les Jumbo-Visma du maillot jaune Jonas Vingegaard, Houle serrait les dents, tête un peu plus inclinée que d’ordinaire.

« J’étais nerveux ! Après tous les efforts que les gars ont faits, je ne voulais pas rater mon coup quand on rentrerait », a raconté Houle, dernier coureur à avoir tenté de revenir sur cette échappée initiale.

La partie de manivelle à quelque 50 km/h a duré une bonne heure, l’écart avec les meneurs figeant désespérément autour de la minute.

Le sprint intermédiaire de Ney, disputé par les Alpecin-Deceuninck du maillot vert Jasper Philipsen, a finalement donné l’impulsion nécessaire à un regroupement. Course relancée à 70 kilomètres de l’arrivée.

Cette fois, IPT s’est retrouvé à quatre dans un groupe de 35 unités. Clarke a poursuivi son effort pour suivre l’intenable Belge Victor Campenaerts (Lotto Dstny), en route vers une deuxième sélection consécutive de combatif du jour. Le vétéran australien a cependant été pris de crampes dans la côte d’Ivory, privant IPT du quart de son contingent de tête.

Quand Asgreen (Soudal Quick-Step) s’est lancé le premier, Houle et Krists Neilands n’étaient pas très bien placés. « Je ne voulais pas me mettre complètement dans le rouge et sauter ensuite », a expliqué le Québécois de 32 ans.

D’autant que son équipe pouvait compter sur sa « carte maîtresse » en vue d’un sprint, le jeune Corbin Strong. Or le Néo-Zélandais a chuté dans la descente, laissant à Houle et Neilands la responsabilité de défendre les couleurs bleu, blanc et orange.

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Kasper Asgreen, Ben O’Connor et Matej Mohorič en échappée

À 15 km, Asgreen, O’Connor (AG2R) et Mohorič (Bahrain) détenaient une priorité d’une vingtaine de secondes. Dans un scénario digne des classiques belges du printemps, neuf coureurs ont formé un groupe de poursuite de classe mondiale, avec des noms comme Mathieu van der Poel (Alpecin), Philipsen, Tom Pidcock (Ineos), Mads Pedersen (Lidl), Matteo Trentin (UAE) et compagnie.

À quelques secondes derrière, Houle a dit à son coéquipier Neilands de surveiller les deux Jumbo-Visma, Christophe Laporte et Tiejs Benoot, qui avaient raté le coup comme eux. « Avec mon expérience, je savais qu’un des deux réussirait à rentrer. »

Neilands est lui-même sorti avec le Français Laporte dans sa roue… Il est revenu bredouille.

Houle a pris le blâme au même titre que son compagnon de chambre letton. « C’est inacceptable qu’un de nous deux n’ait pas été là pour le sprint pour la quatrième place. »

Le trio de tête s’est en effet rendu jusqu’au bout à Poligny. O’Connor, le moins rapide, a lancé le premier, suivi d’Asgreen, qui visait une deuxième victoire consécutive après son triomphe in extremis de la veille à Bourg-en-Bresse.

Mais c’est Mohorič, d’un coup de reins synchronisé à la perfection, qui a pris la mesure du Danois. Par une jante (profilée), a montré la photo d’arrivée, soit quatre millièmes de seconde.

En pleurs après le troisième succès de sa carrière sur le Tour, Mohorič a livré un vibrant plaidoyer sur la « cruauté » et la « dureté » du cyclisme.

« Tu souffres beaucoup pendant la préparation, a déballé le Slovène. Tu sacrifies ta vie et famille et tu fais tout ton possible pour arriver prêt ici. Puis, après quelques jours, tu réalises que tout le monde est incroyablement fort, que c’est parfois difficile de simplement suivre la roue du gars devant toi. »

L’ex-vainqueur de Milan-San Remo a loué « la volonté et la détermination » d’Asgreen d’attaquer de nouveau après sa victoire de la veille.

« Tu as l’impression que tu n’as pas d’affaire là. Puis je le suis, par la seule force du mental, et je sais que je dois tout faire à la perfection [pour espérer l’emporter]. »

Pour Gino Mäder, son coéquipier qui s’est tué en course le mois dernier, et les membres du personnel de l’équipe, qui doivent faire leur jogging à 6 heures du matin pour accomplir leur besogne quotidienne jusqu’à 23 h.

Mohorič a même eu une pensée pour O’Connor (3e), qui s’est commis jusqu’au bout, sachant ses chances presque inexistantes.

Tu as presque l’impression que tu les as trahis parce que tu les bats sur la ligne. Mais c’est la nature du sport professionnel. Tout le monde veut gagner.

Matej Mohorič, vainqueur de la 19e étape

Un peu plus, et Mohorič s’excusait d’avoir hérité du bouquet. « Je sais que je suis assez fort pour gagner une étape du Tour de France, mais comme le sont aussi 150 autres gars. En ce moment, chaque coureur mériterait une victoire. J’ai vu leur visage dans le gruppetto dans le col de la Loze l’autre jour. Tu sais à travers quoi ils passent. J’aimerais que chacun d’entre eux remporte une étape parce que je sais à quel point ça change ta vie. Mais ce n’est pas possible. Et c’est cruel. »

PHOTO FOURNIE PAR ISRAEL-PREMIER TECH

Hugo Houle

Seizième de cette étape franchie à une vitesse de 49,13 km/h, cinquième moyenne de l’histoire, Houle était parfaitement d’accord.

« À la vitesse où ça roule, si tu n’es pas à ton meilleur niveau, ce n’est pas possible, a souligné le lauréat à Foix l’an dernier. Je ne gagnerai pas une étape chaque année, mais je suis capable d’en gagner une autre, c’est sûr et certain. »

Le top 10 de la 19étape

  • 1. Matej Mohorič (SLO/TBV) les 172,8 km en 3 h 31 min 2 s (moyenne : 49,1 km/h)
  • 2. Kasper Asgreen (DEN/SOQ) à 0 s
  • 3. Ben O’Connor (AUS/ACT) à 4 s
  • 4. Jasper Philipsen (BEL/ADC) à 39 s
  • 5. Mads Pedersen (DEN/LTK) à 39 s
  • 6. Christophe Laporte (FRA/TJV) à 39 s
  • 7. Luka Mezgec (SLO/JAY) à 39 s
  • 8. Alberto Bettiol (ITA/EFE) à 39 s
  • 9. Matteo Trentin (ITA/UAD) à 39 s
  • 10. Thomas Pidcock (GBR/IGD) à 39 s
  • 16. Hugo Houle (CAN/IPT) à 1 min 45 s
  • 93. Guillaume Boivin (CAN/IPT) à 15 min 45 s
  • 121. Michael Woods (CAN/IPT) à 16 min 45 s

Le top 10 du classement général

  • 1. Jonas Vingegaard (DEN/TJV) 75 h 49 min 24 s
  • 2. Tadej Pogačar (SLO/UAD) à 7 min 35 s
  • 3. Adam Yates (GBR/UAD) à 10 min 45 s
  • 4. Carlos Rodríguez (ESP/IGD) à 12 min 1 s
  • 5. Simon Yates (GBR/JAY) à 12 min 19 s
  • 6. Pello Bilbao (ESP/TBV) à 12 min 50 s
  • 7. Jai Hindley (AUS/BOH) à 13 min 50 s
  • 8. Felix Gall (AUT/ACT) à 16 min 11 s
  • 9. Sepp Kuss (É.-U. /TJV) à 16 min 49 s
  • 10. David Gaudu (FRA/GFC) à 17 min 57 s
  • 39. Hugo Houle (CAN/IPT) à 2 h 29 min 34 s
  • 45. Michael Woods (CAN/IPT) à 2 h 34 min 4 s
  • 121. Guillaume Boivin (CAN/IPT) à 4 h 39 min 32 s