L’ex-coureur Antoine Duchesne s’est transformé en cuisinier et en massothérapeute pour son ancien coéquipier Thibaut Pinot, qui dispute son dernier Tour de France.

Ils avaient envisagé de se retirer en même temps, mais Antoine Duchesne a pris Thibaut Pinot de vitesse en levant les feutres après le Grand Prix cycliste de Montréal, l’automne dernier.

Au début de l’hiver, le Français, qui avait alors 32 ans, a coupé court à tout suspense en annonçant sa retraite à la fin de la saison 2023 en une de L’Équipe.

« Je n’ai jamais voulu de cette vie de champion », titrait le quotidien sportif pour coiffer une entrevue s’étalant sur trois pages.

Avant de retourner à la nature et ses animaux, ses deux passions, il souhaitait disputer un dernier Giro, avec lequel il avait un compte à régler, et un ultime Tour de France. Pour s’y préparer, il a fait appel à Duchesne, qui lui a servi de massothérapeute, de cuisinier et d’alter ego lors de deux camps.

« C’est parti un peu comme une blague, mais finalement, on a réussi à le faire arriver », a raconté le Québécois de 31 ans, qui venait de coucher son petit Jules, 1 an, jeudi.

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Antoine Duchesne

L’ex-cycliste avait échangé quelques textos avec son ami après la 12e étape, où Pinot (6e) est parti en échappée dans le Beaujolais. « Il a dit que l’étape avait été dure, mais sinon, c’étaient plus des conneries qu’autre chose… »

Amoureux de la cuisine depuis longtemps, le natif de Chicoutimi a développé des connaissances en massothérapie en suivant des séances en ligne, l’hiver dernier.

Est-il meilleur cuistot ou masso ? « Il a beaucoup de dons, ce coureur ! », a répondu Pinot, rencontré avant le départ de la troisième étape, à Amorebieta, dans le Pays basque espagnol.

C’est vrai qu’il est très fort au niveau massage, et il est très fort en cuisine aussi. Il partage beaucoup de mes passions. C’est donc pour ça que j’ai fait pas mal de stages avec lui [durant sa carrière]. C’était toujours de très bons moments.

Thibault Pinot

Avec l’entraîneur Julien Pinot, le frère de Thibaut, Duchesne a participé à un camp aux îles Canaries avant le Giro, où Pinot a surpris avec une cinquième place au général et deux échappées quasi victorieuses (deux fois deuxième). En vue du Tour, le trio s’est retrouvé dans le col de la Croix Fry, en Haute-Savoie, que les coureurs franchiront dimanche lors de la 16e étape.

« Ça s’est fait naturellement, a expliqué Pinot. Lui aussi, ça l’intéressait de venir. Il a tout de suite accepté ce projet-là. Il s’est formé à masser, et vu qu’il est assez doué aussi là-dedans, il a continué. »

« Un romantique égaré au XXIe siècle »

Son podium en 2014 (3e) et ses trois victoires d’étape de prestige au Tour en ont fait un véritable héros national, mais ses chutes, blessures et abandons forcés lui ont également causé ses plus grandes douleurs.

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Des supporteurs en bord de route rendent hommage au cycliste français avec une banderole énumérant quelques-unes de ses victoires.

« Peut-être que ça a été un mal pour un bien, peut-être que je n’aurais pas supporté de gagner le Tour de France », s’interrogeait-il, à l’étonnement du journaliste de L’Équipe, au sujet de son retrait en 2019 pour cause de déchirure musculaire à une cuisse.

« Pour moi, Pinot, c’est un romantique égaré au XXIe siècle, avec son mystère et ses paradoxes », illustrait joliment Marc Madiot, son patron chez Groupama-FDJ.

Duchesne offre une autre lecture : « Pour moi, c’est un peu comme une bête sauvage, une bête sauvage très sensible. Par sa gêne et sa sensibilité, il a une sorte de maladresse en lui, qui fait qu’il est un peu perçu comme un grincheux. Mais quand tu l’apprivoises – ou plutôt quand il te laisse l’apprivoiser –, tu irais à n’importe quel combat pour lui. C’est quelqu’un d’extrêmement attachant. »

Arrivé chez Groupama-FDJ en 2018, Duchesne s’est lié d’amitié avec Pinot pendant le Tour de Pologne et ensuite à la Vuelta, où le Franc-Comtois a enlevé deux étapes, ce qui lui a permis d’intégrer le cercle des vainqueurs dans les trois grands tours.

Je n’ai jamais cherché à aller dans le même sens que lui et on dirait qu’il aimait ça. Si quelque chose me faisait chier, je lui disais. En général, ça va toujours dans son sens avec la plupart des gens. Je pense que j’ai gagné un peu de respect de cette façon-là.

Antoine Duchesne

« C’est aussi compliqué d’être un leader et de s’entourer de personnes vraies dans un milieu comme ça, où tout le monde essaie de tirer la couverte pour lui », observe-t-il.

Dernier tour de piste

Pendant le dernier Tour, Duchesne et Pinot aimaient bien se détendre devant une bière après les étapes. Le Français s’ennuie-t-il de son pote québécois, qui l’a initié à la musique des Cowboys fringants, devenue incontournable dans l’autocar d’équipe l’été dernier ?

« C’est vrai que c’est ma première année sans lui depuis plusieurs années. C’est un vide, admet Pinot. C’était mon collègue de chambre, donc forcément, pour moi, ça fait bizarre. Après, je le vois plus souvent maintenant dans la vie de tous les jours que sur le vélo. Ça permet de passer de bons moments et de profiter de lui avant qu’il reparte au Can… au Québec. »

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Thibaut Pinot signe des autographes en marge de la 9e étape du Tour de France, dimanche.

L’entretien au sujet de son amitié avec Duchesne s’est arrêté là. Pinot avait accepté d’en jaser quelques minutes, mais les perches des micros des collègues se sont vite retrouvées sous son nez, désireuses de connaître ses états d’âme après son jour « sans » de la veille vers San Sebastián.

« C’est peut-être un peu l’âge, a reconnu Pinot, qui ne cachait pas sa déception. Je commence à me faire vieux. Mes jours “sans” sont un peu plus difficiles à vivre que quand j’avais 25 ans. »

Mais avec sa sixième place jeudi, le gagnant du Tour de Lombardie a grimpé de cinq échelons au classement général. Le voilà 10e, à une trentaine de secondes de son coéquipier David Gaudu, au service de qui il s’est mis depuis le grand départ.

Mais ce que Thibaut Pinot vise avant tout à son 10e Tour de France, c’est un dernier succès d’étape, une dernière grande émotion, avant de rentrer dans ses terres.

Qu’est-ce qu’un jour « sans » ?

Dans le jargon cycliste, un jour « sans » est un jour où le coureur a perdu ses jambes, sa forme, son élan, de façon soudaine, inexplicable ou mystérieuse. Il dira qu’il n’avance plus ou qu’il est collé à la route. Le jour « sans » est particulièrement redouté par les spécialistes du général, surtout durant les grands tours de trois semaines, où il peut entraîner une dégringolade irrécupérable au classement.