Mathieu van der Poel a conclu son printemps de rêve en soulevant le pavé décerné au vainqueur de Paris-Roubaix, dimanche, son deuxième Monument cette saison après son sacre à Milan-San Remo le mois dernier.
Dans une course où l’infortune a plombé le parcours des Québécois Guillaume Boivin et Nickolas Zukowsky, van der Poel a profité de jambes de feu, de son instinct offensif et d’un peu de chance pour mater son éternel rival Wout van Aert, pourtant déterminé à s’affranchir de la poisse qui semble lui coller à la peau dans les grandes classiques.
Comme à San Remo le 18 mars, van der Poel a pu savourer son triomphe avant de franchir la ligne dans le vélodrome de Roubaix. Il a levé le poing droit avant de poser la main sur sa tête, incrédule au moment d’inscrire ce quatrième Monument à son palmarès.
« C’est incroyable », a réagi le Néerlandais d’Alpecin-Elegant, deuxième du Tour des Flandres une semaine plus tôt, derrière Tadej Pogačar, absent dimanche. « C’est difficile à décrire, mais je pense que c’est ma meilleure saison de classiques à vie. C’est un rêve de la finir comme ça. »
Encore une fois, le secteur pavé du Carrefour de l’Arbre, à un peu moins d’une vingtaine de kilomètres de la fin, s’est avéré déterminant.
Une échappée à sept
À l’initiative de van der Poel, une échappée royale à sept s’était cristallisée 30 km plus tôt. Que de grands noms s’y trouvaient : van Aert, l’ex-vainqueur John Degenkolb, l’ancien champion mondial Mads Pedersen, les rouleurs suisse Stefan Küng et italien Filippo Ganna, et le sprinteur belge Jasper Philipsen, qui permettait à Van der Poel de compter sur un coéquipier.
À moins d’un kilomètre de la fin du Carrefour, Philipsen s’est rabattu sans le vouloir sur van der Poel, ce qui a causé la chute du malheureux Degenkolb (7e).
Van Aert s’est alors lancé à l’offensive, manœuvre que van der Poel a tôt fait de neutraliser. Les deux hommes semblaient destinés à s’expliquer sur le vélodrome quand une crevaison arrière s’est avérée fatale pour le Belge de Jumbo-Visma. Le temps de changer sa roue à la sortie du secteur, le destin de Van Aert était scellé.
Le malheureux est rentré sur la piste avec Philipsen, qui a eu l’occasion de célébrer la victoire de son coéquipier avant de régler van Aert au sprint un tour plus tard, procurant un doublé à Alpecin, une première depuis le triplé de la formation Domo-Frites avec Servais Knaven, Johan Museeuw et Romāns Vainšteins1 en 2001.
Travail d’équipe
« C’est incroyable comment on a couru en équipe aujourd’hui, a souligné van der Poel. Avec Jasper qui finit deuxième, ce n’est pas possible de faire mieux. »
Van Aert avait pourtant tout fait à la perfection en anticipant le début des hostilités avant la Trouée d’Arenberg, ce qui lui avait permis d’isoler van der Poel et de lui-même être accompagné de son fidèle lieutenant Christophe Laporte. Le Français a cependant été lui aussi victime d’une crevaison dans la célèbre forêt, si bien qu’il n’a jamais revu la tête de course et a dû se contenter du 10e rang à l’arrivée.
Van der Poel a pu compter sur le retour de Philipsen et Gianni Vermeersch, si bien qu’il a pu contrôler les opérations dans le dernier tiers de l’épreuve de 256,6 km, parcourue à une vitesse record de près de 47 km/h.
« J’ai eu une de mes meilleures journées sur le vélo », a observé le gagnant de 28 ans, qui a surpassé son père Adrie, troisième en 1986, et son grand-père Raymond Poulidor, cinquième en 1962 sur l’Enfer du Nord.
Sacré deux fois au Tour des Flandres en 2020 et 2022, Mathieu van der Poel peut-il viser un jour la victoire à Liège-Bastogne-Liège et au Tour de Lombardie, les deux Monuments qu’il n’a pas encore conquis ?
« Journée un peu frustrante »
Neuvième dans la boue en 2021, Guillaume Boivin n’a cette fois pas été en mesure de peser sur la course qu’il a bien failli ne pas disputer en raison d’une violente chute au Tour des Flandres une semaine plus tôt. « Ça a pris un petit miracle pour être au départ », a confié le Montréalais d’Israel-Premier Tech.
Tandis que son coéquipier canadien Derek Gee a réussi à prendre l’échappée du jour juste avant le premier des 29 secteurs pavés, Boivin s’est tenu au chaud à l’arrière du peloton.
Dans un groupe de cinq, Gee était dans une position enviable à l’entrée de la Tranchée quand son pneu avant a déjanté et s’est désintégré.
Peu après, au même endroit, Boivin a été ralenti par une chute majeure qui a entraîné la perte de Dylan van Baarle (Jumbo), le tenant du titre.
Le Québécois de 33 ans a passé le reste de l’épreuve à chasser avec son coéquipier Tom van Asbroeck. « Je n’ai pas trop compris : plein d’équipes ont manqué le tir et on était un peu tout seuls à rouler », s’est désolé Boivin.
L’ancien champion canadien a rejoint un groupe d’une quinzaine d’unités avec son meneur Sep Vanmarcke, mais une crevaison l’a encore retardé.
« À la fin, on courait pour la 15e place et j’ai fait deux ou trois attaques pour essayer de sortir du groupe dans les 10 derniers kilomètres, mais ça n’a pas marché, a relaté celui qui s’est classé 45e. C’est une journée un peu frustrante, mais j’imagine que c’était à nous d’être en avant de la chute. »
Vanmarcke a dû se contenter du 16e rang. Boivin a salué la prestation de Gee, un ex-pistard originaire d’Ottawa : « Il fallait être costaud pour prendre l’échappée à ce moment-là. Ça donne un aperçu de son talent. »
Même s’il racontait ne plus avoir « de peau sur les mains », Boivin a déjà hâte à l’an prochain pour la 121e présentation de Paris-Roubaix. « Ça reste la plus belle course au monde. Ça, ça ne change pas. »
Un baptême difficile pour Nickolas Zukowsky
Nickolas Zukowsky ne va pas le contredire, même si lui aussi a vécu sa part de malchance à son baptême à Paris-Roubaix. Le Québécois de l’équipe suisse Q36.5 a passé les deux premières heures à tenter de se glisser dans une échappée, seulement pour se relever au moment où le bon coup est parti.
À l’image du Tour des Flandres, où sa tige de selle est descendue dans un moment critique, Zukowsky a connu un autre ennui lié à son séant : son siège s’est mis à reculer sur ses rails…
On passe des années à faire des positionnements au millimètre et là j’étais comme 10 cm trop loin à l’arrière. Ce n’était pas trop le fun.
Nickolas Zukowsky
Le cycliste de Sainte-Lucie-des-Laurentides s’est arrêté pour un ajustement avant la Tranchée d’Arenberg, au moment où van Aert a choisi de donner un tour de vis. Coincé dans les autos de la caravane, elles-mêmes ralenties par la chute, il n’a plus jamais revu le peloton principal.
En ce dimanche de Pâques, Zukowsky s’est retenu pour ne pas prononcer des mots d’église. « Ça me brise un peu le cœur, a-t-il admis. À Paris-Roubaix, les crevaisons, les chutes, les bris, ça fait partie du jeu. Ce n’est rien contre mon équipe, qui est vraiment à la fine pointe, mais c’est une affaire qui aurait facilement pu être évitée. »
Même si sa selle a continué de reculer (!), il a poursuivi sa route au prix d’un effort monumental. « Ç’a été une méchante bataille mentale, mais aussi très physique. J’ai mal partout. J’ai rampé jusqu’à l’arrivée. »
Son entrée dans le vélodrome – 24 heures après sa copine Simone Boilard, 39e de l’épreuve féminine brillamment remportée par la Canadienne Alison Jackson – lui a valu « un sentiment de satisfaction intense » qu’il n’avait encore jamais connu.
Une heure plus tard, celui qui se décrit comme « un gars pas très émotif » vibrait toujours en racontant ces derniers coups de pédale.
« C’est une course unique. Aujourd’hui, je ne l’ai pas aimée tout le long, mais j’ai quand même été capable de l’apprécier. »
1 Consultez la fiche complète de Romāns Vainšteins (en anglais)