Dans les paddocks de Formule 1, il existe une règle très difficile à enfreindre: quel que soit le conflit qui vous oppose à Bernie Ecclestone, il faut savoir que ce dernier finit toujours par gagner.

Contrôlant les aspects commerciaux de la F1 jusqu'en 2010 (pour les avoir achetés à la Fédération internationale de l'automobile), sa société est toute-puissante dans le monde des Grands Prix. C'est elle qui décide, seule, d'organiser des courses plutôt ici ou plutôt là, en fonction de ses intérêts propres. Dernier promoteur indépendant en Formule 1, Normand Legault a fini par céder lui aussi à la pression exercée par Bernie Ecclestone. À en croire les bruits circulant au circuit du Mont-Fuji, il n'aurait pas totalement réglé les factures des Grands Prix 2007 et 2008. C'est le genre d'impolitesse qu'il faut absolument éviter si l'on tient à rester en bons termes avec le grand argentier de la F1.

Constatant, mais un peu tard, l'étendue des dégâts que causerait la disparition de la course à l'image et à l'économie de Montréal, les autorités politiques semblent vouloir réagir. Elles ne seront pas seules dans leur combat. Car en Formule 1, mis à part les réactions sentimentales des habitués du paddock, la nouvelle n'a guère fait sourire les patrons d'écurie.

Pour ces derniers, l'abandon de l'épreuve de Montréal affecte l'image d'un championnat qui se veut «du monde», mais surtout les prive d'une importante vitrine sur le marché nord-américain. «Je ne sais pas ce qui s'est passé avec Montréal, a tonné hier Mario Theissen, le patron de l'écurie BMW Sauber. Nous allons devoir nous pencher sur la question, parce qu'un constructeur comme BMW a besoin du marché nord-américain.»

Action concertée de la FOTA

Les écuries savent leur marge de manoeuvre limitée. Mais, selon les réactions recueillies par La Presse, hier au Mont-Fuji, les équipes vont tenter une action concertée pour remettre les Grands Prix du Canada et des États-Unis au calendrier. «La Formule 1, aujourd'hui, est un sport global, a confié Nick Fry, le patron de l'écurie Honda.

C'est un championnat du monde. Récemment, on a vu s'y ajouter des manches en Asie et au Moyen-Orient. C'est positif, bien sûr, mais on ne peut pas pour autant oublier l'Amérique du Nord. Ne pas y aller est une erreur grave, un problème que nous devons absolument résoudre.»

S'il ne souhaite pas entrer dans la polémique des montants dus à Bernie Ecclestone pour les Grands Prix passés, Nick Fry confirme que la situation s'avère complexe: «Nous ne faisons pas face à un problème à court terme. Je ne pense pas que nous parviendrons à sauver l'épreuve 2009, c'est trop court. Par contre, nous devons trouver une solution pour 2010 et les années suivantes. Pour nous, les constructeurs, le continent nord-américain représente un marché fondamental. Y implanter la Formule 1 n'est pas aisé, nous en sommes conscients, parce qu'il existe déjà de nombreuses courses automobiles à succès aux États-Unis. Nous n'avons pas été aidés par le problème rencontré en 2005, lorsque la plupart des écuries n'ont pas pris le départ en raison de leurs pneus. Mais nous devons positionner la F1 comme un produit et le vendre au public américain en tant que tel. Au sein de la FOTA (ndlr: l'association des écuries de F1, créée cet été), nous devons réfléchir à un plan stratégique pour y parvenir et remettre ces deux Grands Prix au calendrier. Pour moi, c'est un objectif prioritaire. Et je pense que nous disposons tout de même de certains moyens de pression sur Bernie...»

Nick Fry confirme tout de même l'existence d'obstacles pratiques devant le Grand Prix du Canada. «Le cas de Montréal était plus facile quand il y avait aussi Indianapolis, parce qu'alors, nous partagions les coûts de transport sur deux épreuves. Transporter 24 tonnes de matériel et 100 personnes par écurie par-delà l'Atlantique représente une grosse dépense pour un seul Grand Prix.»

On le voit, la bataille que s'apprêtent à mener les écuries pour ramener le Grand Prix du Canada sera sans doute dure et complexe. Elle n'est pas gagnée d'avance. La FOTÀ a précisément pour but de concerter les actions de toutes les équipes. Sauver le Grand Prix du Canada va constituer l'une de ses premières tâches concrètes, ce qui représente à la fois un atout et un danger pour le succès de la mission...