Qui paiera un nouveau stade de baseball à Montréal ?

Ça fait huit ans — huit ans ! — qu’on pose la question. Qu’on attend la réponse. En vain.

Tout le monde s’impatiente. Même la mairesse Valérie Plante. En mars dernier, exaspérée, elle avait monté le ton envers le promoteur Stephen Bronfman et ses associés. « Il faut qu’ils nous montrent quelque chose absolument. Sinon, on jase, mais on jase de quoi ? »

On jase de l’odeur des hot-dogs. Du son d’un bâton de bois qui craque. De la petite laine qui nous couvrira lors des soirées fraîches de septembre. De la pelouse au champ centre, qui sera assurément plus verte que celle de Toronto. Depuis huit ans, on jase de tout, tout, tout — sauf de l’essentiel.

Qui paiera le nouveau stade ?

On connaît enfin une partie de la réponse.

Nous.

* * *

Êtes-vous surpris ?

Moi non plus. C’était prévisible. Comme une courbe basse à l’extérieur, avec un compte d’aucune balle, deux prises. Pensez-y : si Stephen Bronfman comptait financer entièrement la construction du stade, il l’aurait annoncé en 2013. Et Montréal aurait probablement déjà un club.

Ce qui n’est pas le cas.

Son consortium demandera plutôt une aide financière au gouvernement du Québec. C’est écrit noir sur blanc dans une nouvelle inscription au Registre des lobbyistes. Je vous épargne le libellé complet. Du Klingon administratif. J’ai retenu la phrase la plus importante : « Les sommes ainsi obtenues serviront à la construction du complexe. »

PHOTO YVES TREMBLAY, LES YEUX DU CIEL

Le bassin Peel, où le Groupe Baseball Montréal souhaite construire un nouveau stade de baseball

Combien d’argent ?

Sous quelle forme ?

Ce n’est pas précisé. Mais depuis 10 ans, tous les nouveaux stades des ligues majeures ont coûté plus de 500 millions US. Attendez-vous donc à une demande d’aide financière costaude.

C’est beaucoup, beaucoup d’argent. Surtout maintenant. Avec la pandémie, Québec anticipe un déficit budgétaire de 15 milliards cette année. Les commerçants en arrachent. Leurs employés aussi. Il faudra également réinvestir dans les CHSLD. Dans les hôpitaux. Dans les écoles. Dans les arts de la scène. Dans le sport amateur.

Difficile, dans les circonstances, de justifier un investissement de plusieurs centaines de millions de dollars pour la construction d’un stade luxueux qui accueillera des baseballeurs millionnaires en garde partagée. Et encore moins d’offrir un cadeau, ou des allègements fiscaux, à des propriétaires milliardaires.

Maintenant, soyons honnêtes.

Même sans la pandémie, même avec un gouvernement qui nagerait dans 1 milliard de profit, la démarche de Stephen Bronfman serait critiquée. Car les plaies du Stade olympique et du Centre Vidéotron sont encore ouvertes. Dès qu’on effleure le sujet, ça pique. Les élus le savent trop bien. Ils ont vu leurs collègues du Parti québécois s’entredéchirer à propos du financement du Centre Vidéotron.

Les stratèges de la Coalition avenir Québec voudront-ils jouer dans le remake de ce film d’horreur ?

J’en doute.

* * *

Je suis pour le retour du baseball à Montréal. Je suis pour un nouveau stade au centre-ville. Je suis même pour un financement public — à deux conditions.

L’État ne doit pas assumer la majorité des risques et l’État ne doit pas laisser tous les profits au privé.

Une évidence ? Oui. Pourtant, c’est la formule adoptée dans le sport professionnel presque partout en Amérique du Nord.

Le discours est toujours le même : exploiter un club tout en finançant la construction d’un nouveau stade, ce n’est pas rentable. Soit. Alors, pourquoi ne remet-on pas plutôt en cause le modèle d’affaires ? Les contrats ridicules versés aux joueurs ? Les ristournes du partage des revenus que les propriétaires préfèrent empocher plutôt que réinvestir dans leur franchise ?

Le gouvernement ne peut pas « donner » 200, 300, 400, 500 ou 600 millions au consortium. Il doit exiger un retour concret. Un remboursement avec intérêts, par exemple. Mais de grâce, il ne doit pas se contenter de promesses de retombées économiques (surévaluées) ou médiatiques (sur-surévaluées).

D’ailleurs, je souligne que contrairement aux pronostics apocalyptiques présentés au début des années 2000, Montréal n’a pas disparu de la carte du monde après le départ des Expos. En 2019, la ville a même accueilli 11,2 millions de visiteurs. C’est deux fois plus qu’il y a 20 ans, lorsque Vladimir Guerrero frappait des circuits à la douzaine.

La bonne nouvelle, c’est que Stephen Bronfman semble disposé à partager les profits. Pour faciliter le travail des négociateurs du gouvernement qui gèrent nos taxes et nos impôts, je rappelle cette citation de M. Bronfman, en 2017 : « On a un plan d’affaires qui a du sens, avec de bonnes ristournes pour le gouvernement. On va s’arranger que ça fonctionne, et qu’il soit heureux. »

Permettez que je suggère un amendement ?

Pas pour que le gouvernement soit heureux.

Pour que les amateurs de baseball ET les contribuables soient heureux.