Dans le magazine devant moi, un analyste aguerri pose cette question incontournable : « Le baseball est-il malade ? »

Après avoir dressé la liste des nombreux problèmes des ligues majeures, l’auteur conclut ainsi : « Il se peut que le baseball ait traversé de pires crises que celles qu’il connaît actuellement, mais il lui faut quand même y voir, car la situation est peut-être plus critique qu’on pense. »

À la lumière de la dernière passe d’armes entre propriétaires et joueurs, qui a failli mener à l’annulation pure et simple de la saison 2020, cette observation tombe à pic. Le baseball va mal et ce chroniqueur a raison de le souligner. Sauf qu’un bémol s’impose : cette industrie est d’une résilience inouïe. Au fil des époques, elle a traversé plusieurs crises, mais demeure bien vivante.

Et le texte dont je vous parle le démontre éloquemment.

Il a en effet été publié dans le magazine québécois Baseball Illustré en... septembre 1953 ! Son directeur était le célèbre Ben Weider, homme d’affaires, promoteur du culturisme, mécène et passionné de Napoléon Bonaparte. C’est lui qui signe le papier en question.

Lire les observations de Weider 67 ans après leur publication est une expérience étonnante. Il soulève plusieurs problèmes qui demeurent d’actualité aujourd’hui : les matchs trop longs, le modèle économique du baseball majeur et ses relations avec les ligues mineures.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Ben Weider en avril 2007

Bien sûr, ces enjeux ne se conjuguent plus de la même façon aujourd’hui (sauf pour celui de la durée des matchs, toujours pas réglé). Mais ce plongeon dans le passé nous rappelle que les crises font partie de l’histoire du baseball majeur depuis le scandale des « Black Sox » de Chicago en 1919 jusqu’à la tricherie des Astros de Houston, dont la conquête de la Série mondiale en 2017 est ternie à jamais.

Entre ces deux dates, le baseball a composé avec de multiples remous. Dans les années 70, l’implantation de l’autonomie a fait croire à des dirigeants que le sport courait à sa perte. De pénibles conflits de travail et le scandale des stéroïdes sont ensuite survenus.

Le modèle économique a aussi été chambardé, mais l’industrie s’est adaptée. Et jusqu’à l’an dernier, les revenus du baseball majeur étaient en hausse constante même si le football de la NFL est devenu le sport le plus populaire aux États-Unis.

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On pourrait penser que propriétaires et joueurs ont tiré cette leçon utile du passé : l’affrontement entre les deux parties, inévitable il y a 50 ans quand les joueurs n’étaient pas traités à leur juste valeur, n’a plus sa raison d’être. Encore plus en ces temps de COVID-19, où la structure du sport professionnel est lézardée.

La LNH, à ma grande surprise, l’a compris. Face à la menace qui plane sur son essor économique, propriétaires et joueurs ont trouvé un terrain d’entente. Gary Bettman, le roi de la confrontation, a même mis – un peu – d’eau dans son vin.

Ainsi, ses objections à la participation des joueurs aux Jeux olympiques se sont envolées comme par magie. C’est la preuve que son principal motif d’opposition – une pause inacceptable durant le calendrier – n’était pas sérieux. Il s’en est plutôt servi pour arracher des concessions aux joueurs au moment opportun.

Au baseball, on demeure incapable d’agir ainsi. Les deux parties sont tombées à pieds joints – et on dirait presque avec plaisir – dans des négociations pleines d’animosité à propos du retour au jeu. Et si un accord a été conclu pour les aspects sanitaires de cette reprise des activités, le commissaire a imposé son calendrier. Tout cela laissera des traces.

Les négociations en vue de renouveler la convention collective, qui expirera après la saison 2021, s’annoncent pénibles.

Il est tout de même formidable que dans une industrie si riche, où les millions pleuvent sur les joueurs et où les propriétaires comptent sur de généreux subsides gouvernementaux pour bâtir de nouveaux stades, les canaux de communication soient si mal alignés.

Nous sommes en 2020, mais, sur le plan des relations de travail, le baseball majeur a replongé au cours des dernières semaines dans l’acrimonie de 1994, lorsqu’une grève a mis fin aux espoirs des Expos de Montréal de disputer une Série mondiale. Malgré des accords ponctuels au cours des dernières années, la méfiance demeure forte.

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Le triste état des relations entre propriétaires et joueurs soulève un enjeu particulier à Montréal : quel en sera l’effet sur le projet du retour d’une équipe en garde partagée ? À mon avis, cela renforce la nécessité d’obtenir l’adhésion pleine et entière des joueurs à ce concept unique, ce qui est une excellente chose.

Pour que la garde partagée fonctionne, tous ses paramètres devront être négociés et inclus dans la prochaine convention collective. Ce sera la seule manière de s’assurer que l’affaire tombe bien en place.

Oui, les prochaines négociations de convention collective seront ardues. Mais elles auront au moins le mérite d’examiner tous les contentieux touchant l’industrie. Pour parvenir à un accord global, chaque partie devra faire des concessions. Les joueurs pourraient accepter le projet de garde partagée en échange d’autres avantages. Reste à savoir si cet enjeu fera partie des priorités des proprios ou s’ils l’abandonneront en cours de route.

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Le baseball est-il malade ? Cette question, déjà posée par Ben Weider en 1953, accompagne depuis longtemps l’évolution des ligues majeures. Les traditions font la beauté du baseball. Mais l’une d’entre elles, les relations toujours tendues entre proprios et joueurs, est de trop.