« Tout est juste dans l’amour et la guerre. On peut dire la même chose du baseball. » — Charles Comiskey, White Sox de Chicago, 1889

Balles souillées. Bâtons truqués. Pots-de-vin. Stéroïdes. Depuis que l’homme joue au baseball, il triche. La dernière fourberie : des vols de signaux par les Astros de Houston.

Une grosse affaire.

Les faits remontent à 2017. Cette saison-là, les Astros misaient sur des lanceurs compétents. Des frappeurs puissants. Mais aussi, sur des cryptanalystes payés pour décoder les signaux de l’adversaire. Leur mission : découvrir le prochain lancer à l’avance. Lorsqu’ils réussissaient, ils transmettaient l’information à un instructeur par téléphone ou message texte.

Sauf que c’était trop long. Inefficace.

Alors pour les matchs à domicile, l’équipe a installé un moniteur près de l’abri. Finis les délais. Un joueur informait le frappeur du prochain lancer en tapant sur une poubelle. Un coup, une balle à effet. Pas de coup, une rapide. Immense avantage. Pendant les séries éliminatoires, les frappeurs des Astros ont présenté une moyenne de ,273 à domicile. Contre ,208 à l’étranger. Ça leur a permis de gagner la Série mondiale. Illégalement.

Lundi, le baseball majeur a puni les Astros. Leur directeur général et deux entraîneurs ont perdu leur emploi. Depuis, on assiste au festival du superlatif. Il est question d’une fraude incroyable. Inédite. Inimaginable. La pire de l’histoire.

Tut tut tut.

Un peu plus de respect, s’il vous plaît, pour tous les fripons, pipeurs et autres tricheurs ingénieux qui ont parfait l’art de voler les signaux depuis… 120 ans !

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Dans son excellent essai A Game of Inches, l’historien Peter Morris retrace l’origine des signaux.

Leur utilisation est devenue courante dans les années 1880, avec l’apparition de la balle courbe. Les lanceurs ont alors senti le besoin d’indiquer leurs intentions à leurs receveurs. C’était aussi subtil que Youppi ! dans une fête d’enfant. Les frappeurs décodaient les signaux sans difficulté. C’est pourquoi les receveurs ont pris en charge la communication.

Pendant les années 1890, le vol des signaux est devenu une stratégie importante. Un joueur de Brooklyn a reconnu que ça avait été la clé des deux championnats de son équipe. « Il n’y a pas une équipe dans la ligue dont nous ne connaissions pas les signaux », se vantait George Smith. Cela dit, tant qu’aucune technologie n’était utilisée, c’était légal.

Puis il y a eu les Phillies de Philadelphie en 1900. De vrais véreux. À côté de ça, le stratagème des Astros, c’est de la peinture à numéros.

Cette année-là, les Phillies ont embauché deux réservistes. Pearce Chiles, qui occupait les fonctions d’instructeur au troisième but. Et Morgan Murphy, comme troisième receveur (11 matchs). Murphy était surtout reconnu pour ses talents de décodeur. « Ce sera bien pour l’équipe d’avoir un joueur capable de décoder les signaux adverses », avait écrit un journaliste.

Les deux hommes ont mis sur pied une combine extraordinaire pour l’époque. La ruse ne fut découverte qu’à la fin de la saison par Tommy Corcoran, un joueur des Reds de Cincinnati. Voici la description – savoureuse – du Philadelphia Inquirer, recensée par Peter Morris.

« En troisième manche, Corcoran s’est dirigé vers la boîte de l’instructeur au troisième but. Il a commencé à gratter le sol. […] Il fouillait avec énergie. Le responsable du terrain et un sergent de police se sont jetés sur le généralissime de Cincinnati. Mais pas avant que celui-ci n’ait soulevé une planche, révélant un trou dans lequel était caché un appareil électronique.

« Bien sûr, ce fut la commotion chez les spectateurs et les joueurs. […] Dans la cachette se trouvait un instrument télégraphique. Morgan Murphy, responsable du décodage des signaux, s’en servait pour indiquer [à Pearce Chiles] le type de lancer qui s’en venait. L’instructeur en informait ensuite le frappeur. »

Concrètement, Murphy envoyait une pulsion électrique dans la jambe de Chiles. Genre un coup, une rapide. Deux coups, une courbe. Astucieux. Deux jours plus tard, Chiles a changé de côté de terrain. Il est allé s’installer près du premier but. Aussitôt, les joueurs des Reds ont sauté sur le terrain et fouillé le sol. Ils y ont trouvé un morceau de bois – placé là par Chiles pour les narguer.

Cette même année, les Pirates de Pittsburgh ont eux aussi conçu un système sophistiqué de vol de signaux. Dans les décennies suivantes, plusieurs clubs ont utilisé d’autres stratagèmes sans conséquence. Notamment avec l’aide de jumelles.

En 1951, Bobby Thompson a réussi un des circuits les plus célèbres de l’histoire du baseball en profitant d’un vol de signal. Les Giants de New York avaient caché un télescope dans le champ centre. Un joueur utilisait un buzzer relié au téléphone dans l’abri pour transmettre les détails du prochain lancer. Un système dont a profité Thompson pour frapper « The Shot Heard ’Round the World », un circuit de trois points qui donna le championnat de la Ligue nationale aux Giants.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @FENWAYPHOTOSHOP

En 1951, les Giants de New York ont remporté le championnat de la Ligue nationale contre les Dodgers de Brooklyn avec l’un des circuits les plus célèbres (et controversés) de l’histoire du baseball, sous le regard incrédule d’un certain Jackie Robinson (42)…

Depuis, plusieurs clubs ont été soupçonnés de tricher. Récemment, les Phillies et les Red Sox de Boston, entre autres. C’est pourquoi le scandale des Astros ne m’étonne pas. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une équipe se fasse pincer. Et vous savez quoi ?

Ça va se reproduire.

Pas cette saison.

Pas d’ici cinq ans.

Mais bientôt.

D’abord, parce que de nouvelles technologies faciliteront la triche. Pensez aux possibilités qu’offriront dans le futur les vêtements connectés, les implants ou les lentilles intelligentes.

Mais surtout, parce que les frappeurs des Astros – protégés par l’Association des joueurs – s’en sortent beaucoup trop bien. Aucune amende. Aucune suspension. Aucun astérisque à côté de leur titre. Aucune conséquence. Ce sont pourtant eux, les tricheurs. Le message reçu, c’est que malgré tout le bruit autour de l’histoire, le bénéfice en vaut peut-être le risque.

Comme c’est le cas depuis 120 ans.

Aux amateurs de baseball, je recommande très fortement la lecture des deux tomes de l’essai A Game of Inches, de Peter Morris, aux éditions Ivan R. Dee.