Un triathlon revisité. Le défi d’aventure d’une vie. Un documentaire pour promouvoir la diversité corporelle. Parce qu’« il y a de la place pour tout le monde » dans l’univers du sport et du plein air. Parole d’Anabelle Guay.

« J’ai toujours aimé bouger, le plein air, l’activité physique. Mais longtemps, je me suis posé la question de savoir si j’avais ma place dans ce monde-là parce que je ne voyais pas tant de monde qui me ressemblait. »

Notre interlocutrice est Anabelle Guay, 23 ans. La jeune femme nous parle en direct du parc national Forillon, en Gaspésie, où elle a rejoint son bateau à rames. Quand la météo sera favorable, elle ramera, seule dans l’océan, jusqu’à la marina de l’île du Havre Aubert, aux Îles-de-la-Madeleine. On parle de 250 km.

C’est la dernière étape de son triathlon revisité, qu’elle appelle La Grande Traversée et qui l’a déjà menée, depuis le 18 juin, de Saint-Denis-de-Brompton au mont Albert à vélo (800 km) et du mont Albert au parc national Forillon à la marche (297 km).

Attends, quoi ?

Rembobinons.

Anabelle Guay a toujours rêvé d’une « grande aventure ». De celles qu’on n’oublie jamais.

Il y a quelques années, elle a assisté au festival du film de montagne de Banff. Elle en est ressortie « complètement crinquée » ; elle voulait, elle aussi, se dépasser.

« En sortant de cette soirée-là, une partie de moi était super excitée de se lancer et l’autre se disait : c’est drôle combien on voit peu de gens de toutes sortes. »

« On est habitués de voir des athlètes qui font des exploits incroyables dans des films d’aventure, mais j’ai la croyance qu’il y a de la place pour tout le monde. Avec cette idée-là, j’ai discuté avec une amie productrice, et elle m’a dit : “Ana, je pense qu’on le fait. Faisons un film documentaire d’aventure avec tout ça.” »

Anabelle a donc fait d’une pierre deux coups : elle a mis sur pied sa grande aventure, avec en tête le désir d’agir pour promouvoir la diversité corporelle dans l’activité plein air.

Rapidement, l’idée a germé de parcourir le trajet entre l’Estrie et les Îles-de-la-Madeleine sous la forme d’un grand triathlon. Un trajet qui est très familier à la jeune femme, qui l’a réalisé à vélo avec son père à l’âge de 8 ans.

PHOTO STÉPHANIE VALLIÈRES, IMAGES ET MONDE

Anabelle Guay

De la peur comme jamais auparavant

Anabelle Guay a mis deux ans à planifier son triathlon d’un point de vue technique, financier, physique et psychologique. Une campagne de financement lui a d’ailleurs permis de trouver des collaborateurs et partenaires, et d’amasser 104 000 $.

Depuis son départ, le 18 juin, l’Estrienne a parcouru plus de 1000 km. Les 800 premiers, à vélo, se sont bien déroulés, malgré quelques péripéties et une distance rallongée parce qu’elle s’est perdue en chemin. Elle a néanmoins franchi la distance en 10 jours, « comme prévu ».

Ce sont les 250 km de marche dans le Sentier international des Appalaches qui lui ont imposé quelques défis. Elle était en « constant état d’hypervigilance », nous explique-t-elle.

Je me suis foulé la cheville le jour 2, j’ai traîné ça sur des jours et des jours. Après ça, toute seule dans le bois, je peux dire que j’ai eu peur. Il y avait des animaux autour de moi.

Anabelle Guay, à propos de son trajet à pied

« J’ai vu orignaux, marmottes, caribous et tout ça, mais aussi des crottes d’ours partout. Je me disais : mon Dieu, où suis-je ? J’ai vécu de la peur comme je n’en avais pas vécu avant. J’ai compris aussi comment je réagissais dans ces situations-là. »

La jeune femme est en autonomie, l’équipe de tournage qui la suit n’étant là qu’aux « transitions ». Entre les moustiques, les souris qui l’empêchaient de dormir dans les différents refuges et la fatigue accumulée, elle a par moments été découragée.

A-t-elle pensé abandonner ? Ça, jamais. « Pour moi, l’objectif est clair de me rendre aux Îles. C’est dur, parfois je me demande ce que je fais là, mais je garde ça en tête. »

« Un matin, quand j’étais à pied, je me suis réveillée avec deux orignaux devant moi ; une maman et son bébé traversaient un petit ruisseau. C’était comme un beau clin d’œil de la vie. »

Au moment de notre entretien, lundi, Anabelle avait rejoint son bateau à rames au parc national Forillon. Elle attendait des vents favorables avant de prendre le large. Jeudi après-midi, elle n’était toujours pas partie.

Pour prévoir cette ultime étape, la jeune femme a reçu l’aide d’une mentore bien spéciale : la navigatrice Mylène Paquette, qui a traversé l’Atlantique Nord à la rame en solitaire en 2013.

PHOTO D’ARCHIVES FOURNIE PAR MYLÈNE PAQUETTE

Mylène Paquette lors de sa traversée de l’Atlantique Nord à la rame en solitaire en 2013

« Elle va m’aider avec la météo pendant la traversée. Il y a aussi le même routeur météo que Mylène avait, qui est Michel. Il vient de la France. On va se parler deux fois par jour : matin et soir. C’est lui qui va me diriger. […] Il n’y a pas de bateau de soutien qui va me suivre. Pour les communications, ça va être par téléphone satellite. »

Un documentaire d’aventure

Anabelle Guay se souvient de l’admiration qu’elle ressentait quand, enfant, elle regardait des films d’aventure. Elle était néanmoins incapable de s’y imaginer, l’absence de diversité corporelle intensifiant en elle ce sentiment d’exclusion. C’est pour cette raison qu’elle réalise sa Grande Traversée dans un esprit de neutralité corporelle, c’est-à-dire par pure envie de dépassement et de découverte de soi.

Le documentaire qui sera produit à la suite de son périple est toutefois un film d’aventure à proprement parler. « Évidemment, ça mettra en lumière la diversité corporelle dans le sens où je suis ce que je suis », précise-t-elle.

La section en bateau étant imprévisible, la jeune femme ignore quand elle arrivera à destination. Elle sait cependant ce qu’elle fera à son arrivée aux Îles, où habite toute la famille du côté de sa mère.

« On va être une petite gang à célébrer. Le plan, c’est de relaxer sur la plage, de prendre des vacances pour me détendre un peu et me déposer ! »