La compétition n’avait pas le prestige de la Ligue de diamant de Monaco, où Charles Philibert-Thiboutot avait ses entrées il y a quelques années.

Mais le peloton était de qualité, les lièvres bien préparés et les conditions idéales, samedi dernier, au meeting FAST5000 de Montesson, près de Paris. Il y avait même des feux d’artifice !

Philibert-Thiboutot attendait cette occasion depuis longtemps et il ne l’a pas ratée. Huit ans après un record personnel au 1500 m enregistré au stade Louis-II de Monaco, le coureur de 32 ans a enfin réussi à améliorer sa marque. Une délivrance.

« Ces deux dernières années, j’ai quand même eu de bons résultats, mais on n’est jamais totalement satisfait, même si ça reste des saisons positives, a-t-il noté au surlendemain de sa performance. Mais de 2017 à 2020, les bilans étaient assez négatifs. C’est comme si en une course, tout ça a été effacé et en a valu la peine. C’est ça, la beauté du sport. »

Philibert-Thiboutot a arrêté le chrono à 3 min 33,54 s, soit près de trois quarts de seconde de mieux que son sommet précédent de 3 min 34,23 s, qu’il avait pratiquement égalé un an plus tard, toujours au meeting Herculis de Monaco (3 min 24,24 s).

Mauvais départ

C’était pourtant bien mal parti. S’élançant de l’intérieur, le seul Canadien au départ s’est rapidement fait engloutir par le peloton qui se rabattait. Il a pu éviter une chute devant lui et un rival qui s’est fait bousculer par un autre – le demi-fond peut être un sport de contact.

J’étais bon dernier, cinq ou dix mètres derrière. Ce n’était vraiment pas un bon départ, mais j’ai gardé mon calme. J’ai été chanceux parce que la course était rapide et le peloton étiré. Je n’ai eu à contourner personne et je ne suis remonté que progressivement.

Charles Philibert-Thiboutot

Quand il est parvenu à la hauteur de Narve Gilje Nordas, en quatrième ou cinquième place, il a su qu’il était au bon endroit. Spécialiste du 5000 m, le Norvégien est un protégé de Gjert Ingebrigsten, père des formidables Henrik, Filip et Jakob, qui connaît une ascension remarquable sur 1500 m cette année. Il s’est collé à ses baskets.

Après trois tours, Philibert-Thiboutot a lu 2 min 49 s sur le cadran, un heureux présage.

« C’était exactement le même temps de passage que j’avais fait à Monaco en 2015. Je me sentais 100 fois mieux. Je me disais : “Si tu tiens le coup, ça va être vite.” »

Tandis que Nordas s’est envolé vers la victoire en 3 min 32,39 s, Philibert-Thiboutot a maintenu la cadence sur les 300 derniers mètres pour résister au retour de ses poursuivants, terminant deuxième. Il est rapidement tombé dans les bras du médaillé de bronze, le Français Jimmy Gressier, un ami qui l’a reçu cette semaine à l’INSEP de Paris.

« Un nouveau PB (NDLR : personal best, soit meilleur chrono personnel) sur 1500 m après huit ans, je ne mentirai pas : ça fait du bien en *********** », a publié le Québécois quelques minutes plus tard sur sa messagerie Twitter, avec moult bonshommes sourire.

Ça peut paraître bizarre, mais d’un point de vue philosophique, à mesure que tu vieillis, les journées sont plus longues, mais les années passent plus vite. Monaco en 2015, c’était hier, mais en même temps, c’est comme dans une autre vie. Tellement de choses se sont passées entre les deux.

Charles Philibert-Thiboutot

Le temps qui passe

Le demi-finaliste des Jeux olympiques de Rio (2016) s’est entre autres blessé à un pied en 2019, ce qui l’a empêché de courir pendant six mois. Des maux de dos l’ont aussi ralenti, l’obligeant à une refonte complète de sa foulée. En 2021, un coup de crampon en course lui a probablement fait rater une qualification pour les derniers JO de Tokyo. Il a atteint le chrono trois semaines après la date limite…

Athlétisme Canada l’a écarté du programme fédéral de financement et de soutien. Le principal intéressé a plaidé qu’il poursuivait sa progression, comme en témoignaient ses temps au 5000 m, une nouvelle corde à son arc.

Aux derniers Mondiaux en Oregon, l’été dernier, il a manqué la finale du 1500 m par quelques centièmes. « J’étais en forme ces deux dernières années. Je vivais surtout de la frustration parce que l’occasion [de courir vite] ne venait pas. »

Rare trentenaire à réussir un record personnel dans sa discipline, Philibert-Thiboutot a également atteint le minima pour les Championnats du monde de Budapest, à la fin d’août. Il devra néanmoins confirmer sa participation aux Championnats canadiens de Langley, un mois plus tôt. Il pointe à quatre centièmes du standard olympique de Paris, qu’il pourra réaliser à partir du 1er juillet.

Le demi-fondeur récupère aussi son statut de Québécois le plus rapide de l’histoire sur 1500 m. Officiellement, son temps de 2015 tenait toujours, mais William Paulson, son coéquipier du Rouge et Or de l’Université Laval, a fait mieux à deux reprises l’an dernier (3 min 33,97 s).

Le comité des records de la Fédération québécoise d’athlétisme n’a cependant pas reconnu ce temps puisque Paulson, qui possède la double nationalité canadienne et britannique, n’était pas un résidant du Québec.

« Même si Will a grandi en Grande-Bretagne, il a baigné dans la culture québécoise, a plaidé Philibert-Thiboutot. La fédération est un peu drôle, mais pour moi, c’est Will qui l’avait. »

Le protégé de l’entraîneur Félix-Antoine Lapointe détient maintenant toutes les marques provinciales de 1000 à 10 000 m. « Si je pouvais terminer ma carrière avec ce tableau-là, ce serait une grande réussite pour moi. »

Mais il vise plus haut : le record canadien de 3 min 31,71 s (Kevin Sullivan, 2000), auquel il songe depuis 2016, mais avant tout une bonne prestation en Hongrie l’été prochain.

« Ça fait longtemps qu’on se pète la tête contre les murs pour faire ce record personnel, mais il reste que l’objectif final, c’est d’être compétitif aux Mondiaux, précise celui qui pointe dorénavant au troisième rang de tous les temps au pays. Si je veux faire un top 5, ça va prendre 3 min 30 s en finale. C’est ça l’objectif, au bout du compte. »

Charles Philibert-Thiboutot s’aligne dimanche à la rencontre Stanislas de Nancy avant de rentrer au Québec pour se remettre au travail en vue des Championnats canadiens. Le 29 juin, il travaillera sur sa vitesse pure en prenant le départ du 800 m de la Classique d’athlétisme de Montréal, au complexe sportif Claude-Robillard. Le cœur aussi léger que sa foulée.