Nicolas-Guy Turbide est à la croisée des chemins. Sa place est encore dans la piscine, il le sent. C’est l’endroit où il s’exprime le mieux. Si le passé est garant de l’avenir, sa carrière dans le monde de la finance sera une réussite. Il veut néanmoins partir la tête en paix, et surtout prendre le temps de mieux préparer l’après.

Le nageur malvoyant est en pleine fin de session à l’Université Laval. Il lui reste seulement quelques mois avant d’enfin décrocher son baccalauréat. Tous les universitaires ont connu l’angoisse des examens finaux. Cet absurde mélange de concentration et d’abandon. Au moins, l’athlète de 26 ans a toujours été maître de sa destinée. Au téléphone, après un cours en ligne, il ne se fait pas prier pour décrire la dernière année.

« En termes de résultats, c’est exceptionnel. Je ne pouvais pas demander mieux. »

À la fin du mois dernier, le natif de Québec a été nommé paranageur de l’année par Natation Canada, pour la cinquième fois de sa carrière.

Parmi ses faits d’armes des 12 derniers mois, il y a ce titre de champion du monde, acquis à l’épreuve du 100 m dos, à Madère, au Portugal. Il est également monté sur la plus haute marche du podium après avoir touché le muret en premier au 50 m nage libre aux Jeux du Commonwealth, à Birmingham, en Angleterre.

Ces résultats sont épatants, surtout compte tenu de ses blessures récurrentes. « Mais je le vois en termes d’amélioration personnelle », insiste-t-il.

La couleur de la médaille importe peu, à ce point-ci de sa carrière, s’il réussit à battre ses temps de référence personnels. « Mon 50 m libre aux Jeux du Commonwealth, c’est presque 1,5 seconde de moins que ce que j’avais fait à Rio en 2016. »

Ce prix, donc, « représente le fruit de tous [ses] efforts ».

Où est la relève ?

La paranatation canadienne a pu profiter de l’excellence de Benoit Huot, Aurélie Rivard et Nicolas-Guy Turbide. Cet âge d’or, pendant lequel les nageurs canadiens auront été prolifiques, tirera bientôt à sa fin.

En étant témoin des exploits de Summer McIntosh aux plus récents essais canadiens, à Toronto, Turbide était à la fois emballé et inquiet. Dans la mesure où si l’engouement autour de la natation canadienne n’a jamais été aussi grand, notamment grâce aux prouesses du jeune prodige de 16 ans, il en est tout autrement pour le volet paralympique.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Summer McIntosh

« Ce qui se passe en ce moment du côté olympique, c’est incroyable. C’est génial. C’est du jamais-vu pour la natation canadienne. Summer étant le meilleur exemple possible », souligne-t-il.

Mieux encore, le Canada peut aussi compter sur Maggie Mac Neil, Kylie Masse et Penny Oleksiak, entre autres. « La profondeur chez les filles est tellement rendue intense dans la natation canadienne que les essais canadiens sont quasiment aussi excitants qu’une compétition internationale », lance-t-il.

Du côté paralympique, le constat est moins reluisant.

Il y a un peu plus de limitation. Il y a moins de roulement d’athlètes, il y a moins d’athlètes admissibles au système paralympique et il y a moins de profondeur.

Nicolas-Guy Turbide

Rivard et lui ont porté à bout de bras le mouvement paralympique depuis une décennie. Ils ont pris avec brio et humilité la relève de leur mentor Benoit Huot et ils ont démocratisé la nage paralympique en plus de récolter bon nombre de médailles à l’international.

L’effervescence fulgurante autour de la natation canadienne est un bon moment pour le mouvement paralympique de se regarder dans le miroir, insiste le nageur : « Pourquoi eux ont-ils du succès, tandis que nous, on aura plus de misère dans les prochaines années ? Comment va-t-on faire pour créer une culture d’équipe aussi puissante ? »

En attendant, Turbide reste pour favoriser la transition entre l’avant et l’après. « Je le fais parce que j’ai à cœur la prochaine génération. »

PHOTO MARKO DJURICA, ARCHIVES REUTERS

Nicolas-Guy Turbide aux Jeux paralympiques de Tokyo

S’il refuse de prononcer le mot « retraite » pour l’instant, il refuse également de confirmer son engagement pour les Jeux de Paris, dont le coup d’envoi sera donné dans un peu moins de 500 jours.

Je veux partir en sachant que quelqu’un est prêt à prendre la relève.

Nicolas-Guy Turbide

Lorsqu’il pense aux nageurs de demain, il évoque Nicholas Bennett. « Extrêmement talentueux, travaillant. Il est tout ce que le programme devrait représenter. »

Le sport amateur étant basé sur le financement lié aux performances, Turbide est une poule aux œufs d’or pour le programme canadien. Son départ à la retraite pourrait être catastrophique si personne n’est prêt à être aussi prolifique.

D’ici là, une chose l’obsède plus que tout : « Accomplir quelque chose que je n’ai pas encore accompli. » En tel cas, la liste de possibilités est plutôt courte.