Les Québécois connaissent leurs compatriotes champions en planche à neige. Mais combien savent que le meilleur planchiste sur l’eau était également d’ici ? Raphaël Derome annonce sa retraite par l’intermédiaire du documentaire Au revoir, un récit sportif à forte teneur familiale.

À un an et demi, Raphaël Derome se tenait sur des skis nautiques. Son frère et ses deux sœurs sont aussi passés par là, initiés par leur père, Julien, ex-champion canadien.

Mais ce qui attire Olivier, frère aîné de Raphaël, c’est la planche. Après des années de demandes en ce sens, il finit par avoir gain de cause auprès du paternel. Comme c’est souvent le cas, le plus jeune imitera l’aîné.

Puis, en 2005, M. Derome met à exécution un plan qu’il mijote depuis des années et qui jouera un rôle central dans la carrière de ses fils. Las de côtoyer les plaisanciers sur le lac, il fait construire à Saint-Zotique, en bordure de l’autoroute, son propre bassin pour l’entraînement. Rien que ça ! Raphaël a alors 13 ans.

« Mon père, c’est vraiment ma flamme intérieure, souligne-t-il en entretien avec La Presse. Il ose. Pour lui, c’est possible, on y va, on y rêve. Et on ne fait pas juste rêver, on le fait. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Julien Derome, entouré de ses fils Olivier et Raphaël, devant le bassin qu’il a fait construire pour leur entraînement

La rampe de lancement

Progressivement, bien entouré, Raphaël Derome réussit tant bien que mal à apprivoiser la pression des compétitions, sa principale bête noire. Mais il n’y trouve pas son compte pour autant.

Puis, le sport évolue vers des voies qui le branchent beaucoup plus : d’abord les modules et rampes, ensuite les petits parcs à câbles, auxquels est reliée la poignée des planchistes.

« C’était comme partir d’une feuille blanche, je pouvais faire tout ce que je voulais. C’était nouveau », explique Raphaël dans le documentaire.

En 2010, il se dirige donc vers Cologne, en Allemagne, pour l’évènement Wake the Line. En Europe, ce type de compétition a la cote. Contrairement à son frère, il n’y est pas invité, mais il obtiendra sa chance en raison d’une blessure à un autre participant.

Dans une discussion, l’un des mentors de Derome, qui l’accompagne, se fait dire : « Tu ferais mieux de ne pas te tromper parce qu’on est en train de mettre un no name dans un évènement majeur. »

Au premier tour, le tirage au sort le place contre… son frère. Le plus jeune a le dessus et la glace est brisée pour la suite.

Raphaël Derome remporte la compétition sur l’eau de Cologne et, dès lors, tout le monde du wakeboard est au parfum : le jeune fera sa marque.

Une amputation évitée de justesse

Plus tard cette année-là, Raphaël Derome se blesse à un coude. Il sent que quelque chose cloche, que la blessure ne guérit pas normalement, mais il termine la saison. Six mois plus tard, une chute en planche à neige révèle l’ampleur des dégâts. Une grave infection s’est propagée et trois opérations seront nécessaires pour sauver son avant-bras de l’amputation.

IMAGE TIRÉE DU DOCUMENTAIRE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Raphaël Derome sur un lit d’hôpital, dans une scène du documentaire

Une partie du tendon a toutefois dû être sacrifiée et, selon les médecins, il en sera ainsi du reste de sa carrière. Sa saison 2011 le sera. Mais, plus motivé que jamais, il balaie les 14 compétitions l’année suivante – sa « perfect season », dit-il.

Les deux frères s’affronteront de nouveau à Wake the Line en 2013. On n’en dit pas plus ici.

« Raphaël a été chanceux d’avoir un grand frère comme ça », laisse tomber le père des deux athlètes dans le documentaire.

Le film a été présenté dans différents festivals et a notamment été récompensé au High Five Film Festival (Annecy, France) et au BendFilm Festival (Bend, Oregon).

Le sujet s’y prête bien, l’œuvre est très accrocheuse visuellement, en plus d’être truffée de vidéos d’archives en appui.

Le sport y attire l’attention, mais l’essence est ailleurs.

« Pour moi, le thème central du film, c’est la famille », affirme Raphaël Derome.

Le point d’exclamation

Au terme de la saison 2012, d’un point de vue compétitif, Raphaël Derome n’a plus rien à prouver. Mais ce n’est pas ce qui l’éloignera du circuit au cours de l’année suivante, alors qu’il disparaîtra des radars pendant environ deux ans pour se consacrer à la production de ses propres vidéos de planche. Des performances spectaculaires où, enfin, il s’amusait. Où, enfin, il était sur son X.

« J’avais besoin du côté créatif, ça m’a permis d’avoir du fun, de mêler les trucs athlétiques que je voulais faire sur l’eau avec une approche plus artistique, créer de nouvelles choses pour le sport », raconte le jeune « retraité » de 30 ans en entrevue.

« C’est vraiment là que j’ai eu des thrills. Je me réveillais la nuit pour dessiner des idées que j’avais de comment je voulais construire ci ou ça. J’étais passionné. »

La plus célèbre des chansons de Frank Sinatra porte sur ce thème : Raphaël Derome a fait les choses à sa manière. En analysant son parcours, il semble que chaque décision qu’il a prise aura été dans le but de se rapprocher un peu plus de ce qu’il avait profondément envie de faire.

« Vraiment, confirme-t-il. Et aussi de me rapprocher de la personne que j’étais, de me trouver. Mon père le dit au début : “Il n’a jamais vraiment aimé ça, les compétitions, Raph.” Ce n’était pas mon univers. Et, outre ça, ç’a toujours été un défi pour moi d’être dans l’œil de la tornade d’attention. »

Ses vidéos lui permettent de travailler incognito, en symbiose avec sa personnalité bien loin de celle du milieu.

Au bout du compte, ses performances artistiques lui auront elles aussi valu une grande notoriété. Contrairement aux sports d’équipe, il n’y a pas que le Saint Graal qui compte.

« C’est ce qui est beau avec les sports plus alternatifs comme le wake », affirme-t-il.

Peu actif sur le circuit les années précédentes, il se présente en Allemagne en 2018 pour croiser le fer avec les jeunes sensations. Là encore, on vous laisse aller constater le résultat…

Au terme de la décennie, Raphaël Derome sera nommé athlète le plus influent du wakeboard pour les années 2010.

Aujourd’hui, il se lance dans la construction en tant qu’entrepreneur général. Bref, il passe de la planche aux planches.

« C’est triste, mais libérateur en même temps parce qu’on se met beaucoup de pression. Je vais mettre mes bottes de travail, donc ce sera une autre sorte de discipline. »

De l’idéation à la réalisation de projets, Raphaël Derome ne sera pas tout à fait en territoire inconnu, après avoir créé une panoplie de surfaces pour ses vidéos.

Attention, apparaîtront peut-être quelques constructions funky dans son sillage…

Le documentaire Au revoir, réalisé par Justin Loiselle, est diffusé sur une multitude de plateformes depuis le mardi 18 octobre, en anglais avec sous-titres en français. Une version française est en chantier dans le but de la diffuser éventuellement sur des chaînes québécoises, indique la production.