Stationnement du Théâtre du Vieux-Terrebonne, 15 juin, 6 h 58. Élissa Legault arrive de Mascouche, sort de son auto et enlève son coton ouaté de l’équipe du Québec. Deux minutes plus tard, elle est prête à partir.

Toute bronzée, elle revient d’un voyage en Guadeloupe. « Je n’avais pas prévu aller aux Championnats du monde », dit-elle en souriant.

Eh oui, dans cinq semaines, la comptable de 28 ans prendra le départ du marathon des Mondiaux au royaume de la course à pied, à Eugene, en Oregon.

Elle a dû demander deux semaines de vacances de plus à son employeur, le manufacturier et intégrateur d’équipement d’emballage Procepack, sis dans le quartier industriel de Terrebonne, où elle est contrôleur financier.

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Élissa Legault est contrôleur financier à Procepack.

Elle travaille ce matin, son temps est compté. L’entrevue se fera donc pendant son jogging tranquille de 5 km, ce qui veut dire pour elle un rythme de 4 min 30 s à 5 min du kilomètre. Je l’ai donc accompagnée... en vélo.

Non, Élissa Legault n’avait pas envisagé d’aller aux Championnats du monde. Avant le marathon d’Ottawa, le 28 mai, elle ne comptait que cinq épreuves de 42,195 km à son actif. L’automne dernier, elle a réussi un record personnel de 2 h 38 min 13 s à Berlin, malgré un arrêt de quatre minutes en raison de problèmes gastriques. Elle espérait donc passer sous les 2 h 35 dans la capitale canadienne.

Pour la première fois de sa vie, deux lapins l’accompagnaient. Le premier a lâché à mi-parcours, après 1 h 17 min Onzième à ce moment-là, la Québécoise était dans les temps. Elle s’est mise à rejoindre des rivales une à une. Le second lapin s’est rangé après 26 km. Elle a continué de rattraper des concurrentes.

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Élissa Legault ne réalise pas encore ce qui lui arrive...

Présente sur le parcours, sa sœur, la triathlonienne Emy Legault, lui a dit que la troisième pointait juste devant. « Je n’en revenais pas. » Après l’abandon d’une coureuse éthiopienne, Legault est tombée deuxième, rang qu’elle a conservé jusqu’à la ligne.

Son temps sur ce parcours plus bosselé qu’anticipé : 2 h 33 min 27 s, une énorme amélioration de près de 5 minutes.

Dans l’aire d’arrivée, Natasha Wodak est venue la féliciter.

La deuxième Canadienne de l’histoire sur le marathon (2 h 26 min 19 s) lui a indiqué que son résultat pourrait la qualifier pour les Mondiaux. Legault n’y a pas accordé d’importance. Après tout, les Kényanes étaient absentes pour un problème de visa. Sa prestation serait-elle vraiment considérée ?

Trois jours plus tard, elle préparait ses bagages pour son voyage en Guadeloupe quand Wodak l’a relancée avec un lien menant au classement de World Athletics. Les points associés à sa performance d’Ottawa la rendaient effectivement admissible pour Eugene.

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Élissa Legault a commencé l’athlétisme à l’âge de 9 ans.

Pourquoi pas l’Oregon ?

Au surplus, Wodak, première au pays au palmarès 2021-2022, lui annonçait qu’elle n’irait pas en Oregon, préférant soigner une blessure. Legault devenait ainsi la troisième Canadienne et pouvait espérer une sélection.

« Je ne sais pas pourquoi, mais dans ma tête, c’était inaccessible », raconte Legault en trottant dans un sentier de gravelle de l’Île-des-Moulins.

La Québécoise a signalé son intérêt à Athlétisme Canada, qui lui a annoncé trois jours plus tard qu’elle était choisie.

« Je ne le réalise pas encore ! », confie-t-elle après avoir traversé le barrage pour atteindre l’île Saint-Jean.

Ses vacances, prévues pour se remettre de sa course à Ottawa, se sont donc transformées en reprise (tranquille) de l’entraînement à travers la touffeur de l’île des Caraïbes et ses conducteurs parfois intrépides.

Marathonienne tardive, Élissa Legault ne sort pas de nulle part. Originaire de L’Île-Perrot, elle a commencé l’athlétisme à l’âge de 9 ans après avoir fini troisième d’un cross-country scolaire. L’entraîneur Claude David a guidé ses premiers pas sur la piste au club de Vaudreuil-Dorion. À 11 ans, elle a essayé le triathlon. Pendant quelques années, elle a parcouru le circuit québécois, entraînant sa sœur Emy à sa suite. Celle-ci est aujourd’hui la Canadienne la mieux classée à World Triathlon et vient de monter sur un premier podium en Coupe du monde au Mexique.

Deux chutes à vélo et la peur de rouler en peloton l’ont incitée à stopper le triathlon vers la fin de l’adolescence. Après un bref retour à l’athlétisme, elle a complètement arrêté l’entraînement en arrivant au cégep. « J’ai voulu profiter du temps avec mes amis. »

À l’université, une amie lui a proposé de prendre part au demi-marathon de Montréal. « Je lui ai dit : “Es-tu malade !” Je n’avais jamais couru plus que trois ou quatre kilomètres et je trouvais déjà ça long. Elle a fini par me convaincre, et on l’a couru ensemble. »

Elle a eu la passion. En 2017, pour le défi, elle s’est inscrite au marathon. Elle s’est acheté un livre et a suivi un programme à la lettre.

À quatre jours du départ, la chaleur a forcé l’annulation de l’épreuve montréalaise. Après avoir sollicité les conseils de Claude David, elle s’est rabattue sur le marathon de Chambly, disputé trois semaines plus tard. Elle l’a gagné... en 3 h 32 min 42 s « Au début, je faisais ça pour me tenir en forme, pour le défi. »

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Un horaire de travail allégé à 25 heures lui permet aujourd’hui de franchir de 145 à 170 km par semaine.

La barre des trois heures

En 2019, elle est passée sous les trois heures une première fois aux Championnats canadiens à Toronto. L’année suivante, pendant la pandémie, elle a pris part à un petit marathon à 15 coureurs organisé par le club de Waterloo.

Sur un parcours particulier (25 boucles de 1,7 km), elle a réalisé un temps de 2 h 39 min 7 s « C’est là que je me suis dit : “OK, maintenant je me concentre là-dessus, j’aime ça, je veux voir jusqu’où je peux aller.” »

Après 5 km pile, on s’est arrêtés pour finir l’interview sur un banc. Un horaire de travail allégé à 25 heures lui permet aujourd’hui de franchir de 145 à 170 km par semaine. Le télétravail lui a donné l’occasion de s’entraîner pour la première fois en altitude l’hiver dernier en Arizona, où elle a rejoint sa sœur. Elle bénéficie maintenant de quelques commanditaires, dont un équipementier de souliers. À Ottawa, elle a gagné de l’argent pour la première fois dans un marathon.

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Élissa Legault est confiante en ce qui concerne les Mondiaux le 18 juillet.

Je réalise que j’ai peut-être une facilité avec la course à pied. Quand tu aimes ça et que tu y mets l’effort et le temps, je ne dirais pas que tout est possible, mais c’est étonnant où ça peut te mener. Tant que je vais aimer ça, je veux voir jusqu’où je peux aller.

Élissa Legault

Quatrième aux championnats canadiens de 10 000 m au printemps, Legault sent qu’elle détient encore une marge d’amélioration en vitesse.

Son ambition pour les Mondiaux le 18 juillet ? « C’est sûr que j’aimerais améliorer mon temps. Si le parcours est plat, je pense certainement que je peux y arriver. En ce qui concerne la position, c’est très difficile à dire. Je souhaite adopter une stratégie comme à Ottawa et partir de façon “conservatrice”. Il y a toujours des filles qui finissent par casser. C’est plus motivant d’en rattraper que de se faire rattraper. »

Verra-t-on les sœurs Legault aux Jeux olympiques de Paris en 2024 ? « Emy a beaucoup, beaucoup de chances. Les miennes sont très restreintes. Sait-on jamais, mais ça arrive vite. Les coureuses plus expérimentées qui ont fait Tokyo risquent d’être encore là. L’objectif pour moi serait peut-être davantage 2028. »

En savoir plus
  • 7e
    Rang d’Élissa Legault au classement québécois de tous les temps
    Athlétisme canada
    2 h 29 min 28 s
    Record québécois de Jacqueline Gareau, 2e à Boston en 1983
    Fédération québécoise d’athlétisme