Après plus de trois mois de fermeture, l’Institut national du sport du Québec a rouvert ses portes lundi. Visite guidée.

Gymnaste ou trampoliniste ? Avec un masque au visage, ce n’était pas évident de reconnaître les athlètes qui sortaient de l’Institut national du sport du Québec, mercredi matin.

Jérémy Chartier ne s’est démasqué qu’à l’extérieur du centre sportif du Parc olympique, à Montréal. Le jeune homme de 19 ans venait de renouer avec le trampoline pour la première fois en trois mois. Comme ses coéquipières Sarah Milette et Sophiane Méthot.

« J’étais étourdie ! », a décrit Milette au sujet de ses premiers bonds sur la toile. « Mais c’est revenu rapidement. Je ne pense pas que je pourrais faire tous mes mouvements les plus difficiles, mais les plus faciles, je ne les ai pas perdus. »

L’entraîneuse Karina Kosko s’est assurée de modérer les ardeurs de son trio. Comment les avez-vous sentis ? « Fébriles pour certains, très fébriles pour d’autres ! », a-t-elle souri en regardant Méthot.

« Ça fait trois mois qu’on est isolés, la trampo m’a vraiment manqué, a expliqué la médaillée de bronze des Mondiaux 2017. Aujourd’hui, c’était l’une des meilleures journées de mon confinement. Pouvoir recommencer mon sport, j’attendais ça depuis longtemps. »

Kosko a insisté sur les notions de progression et d’adaptation : « Aujourd’hui, c’est vraiment de retoucher à l’appareil, s’habituer à l’environnement : le lavage des mains, les masques, les mesures de distanciation, les lignes [au sol], tout ce qu’il faut respecter. C’était plus de l’observation. On reprendra avec des plans la semaine prochaine. »

Prenant congé du journaliste, les trois trampolinistes sont partis à la recherche d’une aire gazonnée pour poursuivre leur entraînement sous la supervision d’un préparateur physique.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Un employé de l’INS Québec désinfecte tout sur son passage !

Un autre athlète est passé, lui aussi camouflé par un couvre-visage. David La Rue sortait d’une évaluation en physiothérapie. Une première en personne en trois mois… Soulagement pour le patineur de vitesse sur longue piste, victime d’une triple déchirure musculaire aux Championnats du monde de sprint en Norvège, à la fin de février.

« On a ciblé des exercices pour renforcer la zone affaiblie », a expliqué l’ancien vice-champion mondial junior, toujours aussi loquace.

Steven Dubois est arrivé en vélo. Le patineur de vitesse sur courte piste était le patient suivant de la physiothérapeute Émilie Turner. La veille, il avait repris l’entraînement en salle avec ses collègues de l’équipe canadienne. « Juste le fait d’être avec des coéquipiers, de voir un peu ce qu’ils font, ça donne le goût de se pousser encore plus », a noté le quadruple médaillé individuel en Coupe du monde la saison dernière.

Environ 150 athlètes

À midi pile, Gaëtan Robitaille nous attendait à l’entrée de l’INS Québec, qui en était à sa troisième journée de réouverture partielle. Sous son masque d’hôpital, on devinait le sourire du président et directeur général, dont l’établissement a été fermé le 13 mars comme le reste de la société.

Depuis le 20 avril, il s’activait avec son équipe pour élaborer un plan, qui a été soumis un mois plus tard. Le gouvernement lui a donné le feu vert vendredi.

J’aurais aimé ouvrir plus tôt, mais la Santé publique jonglait avec le fait qu’aucune activité intérieure n’était déconfinée nulle part. On a été les premiers.

Gaëtan Robitaille, président et directeur général de l’INS Québec

Pour la réouverture, l’INS Québec a ciblé les athlètes qualifiés ou en voie de le faire pour les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo l’été prochain. « Ça concerne environ 150 athlètes », soit la moitié de la clientèle habituelle.

Les règles sont strictes : formulaire sanitaire à remplir moins de quatre heures avant l’arrivée, désinfection des mains à l’entrée de chaque salle (total pour la visite : huit), port du couvre-visage entre chaque déplacement, vêtements sportifs et équipements disposés dans un bac individuel à transporter, etc.

Les salles de réunion, les bassins d’hydrothérapie, les saunas et le laboratoire sont fermés. La douche ? À la maison. « Le principe, c’est : get in, train and get out [entre, entraîne-toi et sors] », résume M. Robitaille.

En descendant vers la salle de préparation physique, on croise Alex Boisvert-Lacroix, trempé de sueur et avec son masque à l’effigie des Bulls de Chicago. Un grand fan de Michael Jordan, « pas juste depuis [le documentaire] The Last Dance », précise-t-il. « On est bien contents que ça rouvre ; la musculation dans le salon, ça devenait un peu redondant. »

Tous les appareils d’aérobie ont été déplacés dans le gymnase adjacent et disposés à deux mètres de distance. Des panneaux de plexiglas délimitent chaque station, y compris les espaces de travail au sol.

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Séparateurs et lingettes désinfectantes feront partie de la nouvelle routine des athlètes.

« Chaque fois qu’un athlète a fini de travailler, il désinfecte tout le matériel qu’il a utilisé, expose le préparateur Nicolas Thébault. Toutes les demi-heures, on repasse pour redésinfecter avec un produit plus puissant. » Le couvre-visage est même requis entre chaque station.

Après quelques volées de marches, nous apercevons le bassin de natation artistique, occupé ici par l’équipe masculine de water-polo. Le vétéran Nicolas Constantin-Bicari donne le rythme pour cette séance de longueurs (à deux mètres de distance). La veille, les nageuses Katerine Savard, Mary-Sophie Harvey et Alyson Ackman y étaient.

« Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu le bruit de l’eau », souligne le PDG.

« Contente de m’en aller à l’ombre ! »

Après quelques jets de Purell, nous pénétrons dans la grande salle de gymnastique. Rose Kaying Woo et Victoria Kayen Woo s’échauffent. Les deux sœurs ont pu garder la main à la ferme de leur entraîneur Michel Charron, équipée d’une poutre et d’une barre simple.

« On s’ennuyait d’être dans un vrai environnement de gymnase et de voir du monde », a cependant indiqué Victoria, qui se donne un mois pour retrouver son niveau. Sa sœur cadette pense qu’elle aura besoin de quelques semaines de plus. « Chaque corps est différent », souligne celle qui a pris part aux derniers Jeux olympiques de Rio.

Un étage plus haut, la salle d’escrime accueillait ses premiers tireurs, dont Gabriella Page. « On a commencé à faire des leçons dans les parcs la semaine dernière, mais c’est quand même assez dangereux parce qu’on glisse beaucoup », a dit la sabreuse de 25 ans, heureuse d’étrenner son couvre-visage rose.

« La piste est aussi importante pour le travail technico-tactique », a renchéri Julien Camus, entraîneur de l’équipe masculine de fleuret qui a confondu les sceptiques en se qualifiant pour Tokyo. Pour la reprise des assauts, il faudra encore patienter.

Meaghan Benfeito et Jennifer Abel arrivaient à notre sortie de l’INS Québec. Les deux plongeuses ont dû retenir leur élan naturel pour une accolade.

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La plongeuse Jennifer Abel nettoie son équipement après une séance d’entraînement.

« Il fait beau soleil, mais je n’ai jamais été aussi contente de m’en aller à l’ombre ! a souligné Benfeito. Je me suis ennuyée comme ça ne se peut pas. »

La double médaillée olympique de Rio n’a pas mis de temps pour retrouver ses marques. « Je n’étais vraiment pas bonne lundi ! Ça fait 25 ans que je plonge, mais on dirait que j’étais juste incapable de le faire comme il faut. Ça m’a pris quatre ou cinq plongeons avant que ça reclique. »

Abel a eu l’impression d’atterrir du 10 mètres après s’être simplement laissée tomber du tremplin de 3 m à son premier essai lundi. « L’impact a tellement fessé ! Ça montre que les trois mois ont été longs. »

Quelques coups de gel désinfectant, et elles étaient prêtes pour la suite.