Les garçons reçoivent plus de diagnostics que les filles, mais à l’âge adulte, la tendance s’inverse. Pourquoi ? Parce que les hommes vont moins chercher d’aide, même si leur détresse est réelle. La Dre Mélissa Généreux en a fait la démonstration, cette semaine, lors d’une visioconférence à l’ouverture du 10e Rendez-vous national en santé et bien-être des hommes. Tour de l’horizon en chiffres et en réflexion.

Un affect positif, mais…

Pandémie, solitude, hyperconnectivité, clivage, inflation, crise du logement : « les temps sont durs », a résumé la Dre Mélissa Généreux, et les hommes réagissent en moyenne différemment des femmes face au stress et à l’adversité. Ils se centrent davantage sur le problème, et moins sur leurs émotions. Ils sont plus enclins que les femmes à présenter un état d’esprit positif, mais ils sont aussi plus enclins à réagir en consommant et en ayant des comportements agressifs.

Dès l’entrée à l’école

Dès l’entrée à l’école, l’écart entre les garçons et les filles est manifeste, particulièrement dans la sphère sociale et affective. Ce sont 17 % des garçons en maternelle qui sont classés vulnérables sur le plan de la maturité affective, comparativement à 6 % des filles. Les garçons sont aussi plus vulnérables que les filles en matière de compétences sociales, de développement cognitif et langagier, d’habiletés à communiquer et de santé physique et bien-être.

Source : Enquête sur le développement des enfants à la maternelle, Institut de la statistique du Québec, 2023

Plus de diagnostics… et de préoccupations

Pendant toute la durée du parcours primaire et secondaire, les garçons sont plus nombreux que les filles à présenter une classification « HDAA » – handicap, difficultés d’apprentissage ou difficultés d’adaptation. Par exemple, au début du primaire, les garçons sont deux fois plus nombreux que les filles à présenter des difficultés d’adaptation (TDAH, trouble de l’opposition, etc.). Lorsqu’on sonde les parents d’élèves, ceux-ci sont plus préoccupés par l’avenir de leurs garçons que par l’avenir de leurs filles.

Anxiété, idées noires, alcool

À l’adolescence, les jeunes filles sont beaucoup plus nombreuses à rapporter de l’anxiété, de la dépression et des idées noires, mais l’écart s’atténue ou disparaît au début de l’âge adulte, selon un sondage mené auprès de 17 000 Québécois de 12 à 25 ans, en 2023, par l’équipe de la Dre Généreux. « Avec le temps, les garçons ont tendance à être plus enclins à rapporter une consommation excessive d’alcool », ajoute la Dre Généreux, professeure à l’Université de Sherbrooke.

Plus de détresse… dès 50 ans

« Est-ce vrai de dire que les jeunes femmes ou les femmes plus âgées souffrent plus, présentent plus de détresse psychologique que les hommes ? La réponse est oui... mais pas tant que ça », poursuit la Dre Mélissa Généreux. Ce sont 12 % des hommes québécois de 18 à 34 ans qui jugent leur santé mentale passable à mauvaise, comparativement à 15 % des femmes du même âge. À partir de 50 ans, les hommes sont plus nombreux que les femmes à avoir une perception négative de leur santé mentale (11 % des hommes de 50 à 64 ans, comparativement à 7 % des femmes).

Source : Enquête sur la santé des collectivités canadiennes, 2022

Moins de demandes d’aide

Et voici le graphique qui saisit : même si les hommes sont conscients de leur détresse, à partir de l’âge de 15 ans, ils reçoivent systématiquement moins de diagnostics que les femmes. Bref, dès qu’ils ne sont plus sous la responsabilité de leurs parents, la tendance s’inverse. « Pour recevoir un diagnostic médical, il faut avoir demandé de l’aide », rappelle la Dre Généreux. Les hommes québécois sont aussi environ deux fois moins nombreux que les femmes à consommer des antidépresseurs.

3 fois

C’est une triste réalité bien connue : bien que les hommes fassent moins de tentatives de suicide que les femmes, leur taux de suicide est trois fois plus élevé que celui des femmes. Les hommes sont aussi tristement bien représentés dans les statistiques québécoises de surdose (67 %), de décès par surdose (75 %) et d’itinérance visible (66 %).

Sources : INSPQ (2024) et MSSS (2023)

Violence conjugale

Pour étudier les impacts de la pandémie, l’équipe de Mélissa Généreux a sondé 8000 hommes et femmes québécois en couple, en 2021, et quatre questions portaient sur la violence conjugale subie au moment de l’enquête. Ce sont 20 % des répondants hommes qui se disaient victimes d’une forme de violence, comparativement à 18 % des femmes. « La violence exercée par les hommes envers les femmes est plus dangereuse en termes de gravité, de conséquences, de récurrence, de motivation sous-jacente de contrôle, tient à souligner la chercheuse. [...] Le mal-être subi par les hommes qui vivent la violence ne doit pas pour autant être oublié ou écarté. »

Tabou

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Mélissa Généreux

Est-ce que nos systèmes sont assez adaptés aux besoins des hommes – pas juste à l’âge adulte, mais dès l’enfance ? Est-ce qu’il y a encore un tabou ? Est-ce que j’ai l’air antiféministe en disant cela ? Ce sont des questions qu’on se pose, et peut-être qu’on n’en parle pas assez, ou qu’on le banalise. [...] C’est une toile de fond qu’on se met à accepter, sans plus vraiment la constater.

La Dre Mélissa Généreux

Déconstruction

Directeur du Centre de ressources pour hommes de Montréal, le travailleur social Éric Couto a proposé des pistes de solution : multiplier les modèles d’hommes capables d’exprimer leur vulnérabilité, offrir des services aux hommes et à ceux qui les aident, et prendre soin des petits garçons, à qui on apprend très tôt la compétition et la domination. « Il est assez bien documenté qu’on va moins consoler les jeunes garçons que les petites filles », souligne M. Couto, selon qui ce « travail de déconstruction » doit s’opérer collectivement.