Jaune « pelure d’oignon », rose « noyau d’avocat », gris « haricot noir » et vert « fane de carotte » : ces couleurs pourraient être issues de la dernière collection Pantone. Elles sont toutefois le résultat d’expériences menées par une chercheuse de Montréal qui, à partir de rebuts alimentaires et de bactéries, fabrique des teintures textiles qui pourraient bien pousser la mode plus loin dans son virage vert.

Formée dans les grandes écoles de mode de Paris et de Londres d’où sont sortis John Galliano et Alexander McQueen, Vanessa Mardirossian a commencé sa carrière de designer textile en 1998. Dans les deux décennies suivantes, elle a mis sa touche artistique aux étoffes de grandes marques de la mode éphémère et de la haute couture. Ses tissus ont donné forme aux créations de prestigieuses maisons parisiennes : Chanel, Givenchy, Lacroix. Rien qui ne puisse toutefois empêcher un malaise de s’installer.

« Il y avait de plus en plus de documentaires sur l’industrie polluante de la mode et ses impacts sur la santé. À un moment, j’ai eu l’impression de contribuer à quelque chose de nocif », raconte la designer textile qui a tâté des modes de production plus écologiques, notamment pour Lacroix, avec des imprimés réalisés à partir de coquilles d’œufs.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La designer textile et chercheuse Vanessa Mardirossian, également enseignante à l’École de design de l’UQAM.

Je ne voulais pas rester dans l’écoanxiété, mais plutôt chercher des solutions et contribuer au changement.

Vanessa Mardirossian, designer textile, chercheuse et enseignante à l’École de design de l’UQAM

À l’Université Concordia où elle entame un doctorat en 2017, elle explore des solutions de rechange plus saines aux couleurs synthétiques utilisées pour teindre les vêtements. Elle puise à la source, s’intéressant à un savoir ancestral et aux ressources naturelles dans le contexte actuel, à commencer par le contenu du bac à compost !

Teindre avec des rebuts et des bactéries

Les teintures naturelles connaissent un regain d’intérêt, observe Vanessa Mardirossian. L’emploi de plantes ou de petits insectes comme la cochenille pour teindre des fibres est cependant loin d’être nouveau. Là où l’approche de la chercheuse se distingue, c’est dans la combinaison de deux procédés : les teintures végétales et les biotechnologies, ce qui provoque une collaboration intéressante entre les mondes des arts et des sciences.

  • Motifs provoqués par les bactéries sur les plaques de laboratoire

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Motifs provoqués par les bactéries sur les plaques de laboratoire

  • Résultats provoqués par une bactérie mise en contact avec différentes fibres

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Résultats provoqués par une bactérie mise en contact avec différentes fibres

1/2
  •  
  •  

Au Speculative Life BioLab de l’Université Concordia, la chercheuse fait pousser des bactéries issues des sols et des lacs sur des algues. Ces micro-organismes produisent différentes teintes selon qu’ils sont mis en contact avec des nutriments plus ou moins acides, sucrés ou salés. Le procédé, combiné à la teinture végétale, permet de varier l’intensité des teintes et d’obtenir une richesse de nuances difficile à obtenir uniquement avec des colorants naturels. Il nécessite par ailleurs très peu d’eau.

Une fois soumise à la chaleur de l’autoclave, qui est utilisée pour que la teinture s’imprègne dans les textiles, la couleur varie à nouveau. C’est également le cas selon les fibres utilisées : la laine et la soie obtiennent des couleurs plus vives que les fibres issues des plantes comme le coton, le lin ou la cellulose. Toutes ces interventions donnent naissance à un éventail de nuances étonnamment riche.

Une nouvelle option dans nos placards

« J’ai voulu au départ enrichir la palette. Au bout de quelques semaines, j’ai vu toute la variété de teintes que je pouvais atteindre. En travaillant plus longtemps, je pense qu’on peut arriver à créer toutes les couleurs de la palette Pantone », estime la chercheuse, également chargée de cours à l’École supérieure de mode de l’UQAM.

  • Ttableau de teintures naturelles associées aux couleurs Pantone

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Ttableau de teintures naturelles associées aux couleurs Pantone

  • Tableaux de teintures naturelles associées aux couleurs Pantone

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Tableaux de teintures naturelles associées aux couleurs Pantone

1/2
  •  
  •  

Il reste à savoir si ces textiles peuvent tenir la route. Avec une équipe de scientifiques, des chimistes en particulier, la chercheuse travaille à déchiffrer l’aspect moléculaire des couleurs et à améliorer leur résistance au lavage et à la lumière. L’exposition Culture de la couleur, qui présente les créations de Vanessa Mardirossian ces jours-ci, et jusqu’au 7 mai, lui servira entre autres de laboratoire puisque les étoffes sont présentées dans des vitrines qui donnent sur la rue. Il sera donc intéressant de voir comment la couleur des vêtements présentés évoluera au fil des jours.

Les teintures naturelles ne remplaceront pas les synthétiques, mais elles sont une solution de remplacement aux procédés actuels. « L’idée est de prôner une diversité comme c’est le cas dans la nature pour participer à quelque chose de plus durable. La frénésie de consommation de mode ne peut pas durer », soutient-elle. Nous devons penser à l’impact écologique de ce qu’on produit en amont de nos créations et en aval pour qu’elles puissent être compostés ou remis dans la chaîne de production. « Tout ce que nous envoyons dans l’environnement nous revient, dit-elle. Comme humains, nous ne sommes pas au-dessus de l’écosystème. Tout est lié. »

Exposition Culture de la couleur

Vanessa Mardirossian expose ses créations dans le cadre de l’exposition Culture de la couleur jusqu’au 7 mai, dans la vitrine principale du pavillon de mode de l’UQAM. La designer textile documente également sa démarche sur son compte Instagram. L’exposition est évolutive et s’inscrit dans une optique de slow fashion. Les retailles de tissu seront récupérées par la designer Marie-Ève Proulx, de la marque écoresponsable Odeyalo, pour en faire un vêtement qui sera dévoilé plus tard au cours de l’évènement.

> Consulter le compte Instagram de Vanessa Mardirossian

> Consulter le site web de la marche Odeyalo