Manu, 36 ans, est une mère comme il en existe tant. Un jour, comme tant d’autres avant elle, épuisée de courir après sa queue, prisonnière d’une vie qu’elle n’a pas exactement choisie, elle craque.

Récit connu ? Pas tout à fait. À côté de la track, dernier roman de Karine Glorieux (Mademoiselle Tic Tac) publié ces jours-ci chez Québec Amérique, s’inscrit certes dans la foulée de plusieurs autres textes sur la grande fatigue des femmes. Une tendance lourde et pas exactement joyeuse – on pense à À boutte, de Véronique Grenier, ou Au pays du désespoir tranquille de Marie-Pierre Duval – que l’autrice aborde toutefois avec un angle audacieux : l’humour.

Quand elle a proposé le projet à son éditeur, Karine Glorieux l’a même vendu comme tel : « C’est une comédie sur le burnout ! »

Effectivement, on rit beaucoup en lisant les mésaventures de cette mère parfaitement imparfaite, écartelée entre son surmoi « échevelé » et son pendant « wannabe-zen ». Elle gaffe, boit trop, et gaffe de nouveau. Et pas à moitié. Mais plusieurs aspects de sa dérape, ses questionnements sur la charge mentale des femmes (pourquoi la dépression touche-t-elle deux fois plus les femmes que les hommes ?) et son cri du cœur sur sa fatigue sonnent un peu trop juste pour ne pas avoir un solide fond de vrai. « Oui, je suis fatiguée, dit la narratrice. Fatiguée d’être mère seule, travailleuse autonome, bûcheuse acharnée mais slackeuse dans l’âme, et de constater que mon visage se fripe un peu plus à la fin de chacune des journées que je n’ai pas vues passer. »

Le tabou de la dépression

Rencontrée la semaine dernière, Karine Glorieux (à qui l’on doit le collectif Ma première fois), qu’on a interviewée assez souvent pour savoir qu’elle court des demi-marathons comme la Manu de son roman, mais sans doute pas assez pour connaître les dessous de sa santé mentale, confirme : « Ce n’est pas mon histoire, dit-elle, mais il y a des bouts qui sont très vrais. »

Elle n’est ni mère seule ni travailleuse autonome (elle enseigne la littérature au cégep), mais oui, Karine Glorieux a elle aussi vécu une véritable « crise de panique » il y a quelques années de cela. Elle aussi, elle a souffert d’un « trouble de l’adaptation », et d’abord refusé de se soigner. Ah oui, et elle aussi, elle est partie sur un « nowhere » voir ailleurs si elle y était (en Floride, en voiture et sur un coup de tête). Et non, elle n’en avait encore jamais officiellement parlé.

Pourquoi, au juste ? Parce que le tabou. Parce que la stigmatisation. D’autant plus quand on a un parent qui est passé par là. « Je m’étais toujours dit : moi, ça ne m’arrivera jamais, confie-t-elle. Et quand ça m’est arrivé, j’avais une certaine honte. Une difficulté à en parler. » Difficulté qu’elle a surmontée en voyant ses enfants grandir et devenir adultes à leur tour.

C’est le livre que j’aurais voulu quand j’étais en dépression. J’aurais voulu qu’on me le dise : heille, c’est correct, tu vas passer à travers, et tu peux même en rire !

Karine Glorieux, autrice

Et elle ose en rire tout au long des 243 pages du récit, riche en rebondissements de toutes sortes. « Rire permet d’avoir une distance par rapport à une situation, dit-elle. Et on peut rire de presque tous les sujets. […] Avoir de l’autodérision, c’est un premier pas vers la guérison. »

Ah bon ? « Quand on peut se moquer de soi-même, on peut prendre les choses plus à la légère et décider de les changer. »

Et Karine Glorieux sait de quoi elle parle. « C’est ça, le burnout : tout prend énormément d’importance, même les choses les plus anodines, illustre-t-elle. Plier le linge devient aussi important que de soigner un père malade. Rire donne la possibilité de se dire : peut-être que ce n’est pas si important ! »

Et ce ton domine aussi tout le texte. D’ailleurs, elle ne le cache pas : « C’est un roman que je voulais optimiste. » Dans la quête existentielle de sa Manu, à la recherche de qui elle était jadis et de ce qu’elle a perdu avec la vie, les années, et la maternité, plusieurs liens importants ressortent : avec ses enfants, évidemment, mais aussi ses parents, ses amis, et une rencontre avec une femme plus âgée, tout particulièrement formatrice. « Et ces liens sont super importants. Et nous, les femmes, on est bonnes pour les créer. »

Pas moralisatrice pour deux sous, Karine Glorieux tenait tout de même à ce que sa Manu finisse par se retrouver, et ce, notamment grâce à ses médicaments. « Elle prend ses maudits antidépresseurs, oui, conclut-elle. Elle est capable de s’en sortir, mais pas toute seule. Et c’est correct. C’est correct d’avoir de l’aide. » Qu’on se le dise. Et qu’on en rie.

À côté de la track

À côté de la track

Québec Amérique

243 pages