Yeva Skalietska a reçu en cadeau un journal intime couleur or le jour de l’An de 2020, mais elle ne s’en était jamais servie. Elle n’avait ni le temps ni l’intérêt. Sa vie d’enfant était déjà bien remplie, entre l’école, ses amis et ses leçons de piano.

Mais le 24 février dernier, jour où la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine, Yeva a senti le besoin d’écrire. Sa ville, Kharkiv, était bombardée. Yeva et sa grand-mère Iryna avaient trouvé refuge dans la cave de leur immeuble. La fillette de 12 ans venait de subir sa première crise de panique.

« J’ai convaincu ma grand-mère de retourner dans l’appartement chercher des choses, et j’ai pris le journal et quelques crayons, raconte Yeva à La Presse. J’ai commencé à écrire dans le sous-sol. Je me disais que ce serait plus simple de mettre mes émotions sur papier, et que dans 10-20 ans, je pourrais relire à travers quoi nous sommes passés. »

Cet exutoire deviendra une habitude quotidienne pour Yeva. Son journal, intitulé Vous ne connaissez rien à la guerre, est publié ces jours-ci un peu partout dans le monde. La version française vient d’arriver dans les librairies au Québec.

De façon chronologique, dans des mots simples mais justes, Yeva décrit sa vie pendant les deux premiers mois de la guerre, de son anniversaire de 12 ans, le 14 février, à sa nouvelle vie en Irlande avec sa grand-mère Iryna. C’est là, dans une petite maison de Dublin où elle vit depuis le mois de mai, que nous l’avons contactée.

Comment va-t-elle ?

« Je vais bien, dit Yeva, qui rentrait tout juste de l’école lorsque nous lui avons parlé. J’aime beaucoup étudier à mon école, j’améliore mon anglais chaque jour, et je me suis fait de nouveaux amis. » À la veille de la publication de son livre (« publié dans 18 pays et traduit dans 14 langues »), Yeva est heureuse de pouvoir faire partager son histoire.

Je veux que le monde entier sache à travers quoi nous sommes passés.

Yeva Skalietska

« Je veux que les gens comprennent — même juste un peu — ce qu’est la guerre en Ukraine, et combien c’est douloureux. Et je veux vraiment que les gens apprécient leur vie, en paix. Ce n’est pas les ordinateurs qui importent le plus, c’est la vie. »

« Ils ont changé ma vie »

La sienne a basculé le 24 février au matin, après qu’un bruit métallique l’a réveillée en sursaut. Ce matin-là, une roquette est passée à côté de chez elle et a explosé avec force. Après s’être d’abord réfugiées au sous-sol, Yeva et sa grand-mère ont trouvé refuge chez une amie, dans l’ouest de Kharkiv, puis elles ont traversé le pays pour atteindre l’ouest de l’Ukraine.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UN REPORTAGE DE CHANNEL 4

Yeva a rencontré des journalistes de Channel 4 dans une école servant de refuge.

Dans une école d’Oujhorod, dans l’ouest de l’Ukraine, Yeva a rencontré une équipe de journalistes du réseau britannique Channel 4, qui se sont intéressés à son histoire et au livre qu’elle était en train d’écrire (et qui rappelle évidemment Le journal d’Anne Frank, que Yeva ne connaissait pas).

Les journalistes ont réalisé un reportage sur Yeva et ils l’ont aussi accompagnée dans ses démarches administratives pour quitter l’Ukraine. C’est grâce à leur reportage qu’une famille d’Irlande s’est offerte pour héberger Yeva et sa grand-mère les premiers temps. C’est eux, aussi, qui l’ont mise en contact avec un agent littéraire pour publier le livre. « Je vais toujours me souvenir d’eux, dit Yeva. Ils ont changé ma vie. »

Yeva ne sait pas encore où cette nouvelle vie la mènera. Pour l’instant, il n’est pas question de retourner à Kharkiv, situé dans le nord-est de l’Ukraine. « Les universités, les écoles… Tout est détruit. Notre appartement aussi est détruit. C’est dangereux, et il n’y a pas d’avenir là-bas », dit Yeva, qui aimerait retourner voir ses amis lorsque Kharkiv sera reconstruit.

Elle rêve d’étudier à l’Université Oxford, en Angleterre, et de devenir un jour journaliste ou écrivaine. « Et j’aimerais beaucoup aller au Canada. Vous habitez à Toronto ? », demande Yeva, sourire en coin. Pas de doute : cette fillette ira loin.

Vous ne connaissez rien à la guerre

Vous ne connaissez rien à la guerre

Éditions Michel Lafon

272 pages (en librairie mercredi)