Victoria, un mois et quelques jours, n'est pas tout à fait un bébé comme les autres: elle a vu le jour grâce à une greffe de tissus ovariens entre jumelles, une première en Europe qui a permis à sa mère, une Française stérile de naissance, de lui donner la vie.

«La maman et le bébé se portent bien», a déclaré le Dr Guy Kerbrat (hôpital de Parly II-Le Chesnay, région parisienne), le gynécologue-obstétricien qui a assuré cette venue au monde.

«Victoria (2,850 kilos) est née par césarienne le 8 mars» dans un établissement privé français, a-t-il précisé.

«C'est la première fois au monde qu'une telle greffe est faite entre jumelles ayant un syndrome de Turner» (anomalie chromosomique : 1 cas sur 2500 naissances de filles), selon le professeur Jacques Donnez, gynécologue réputé de l'Université catholique de Louvain, à Bruxelles, qui a réalisé la greffe à travers une «mini ouverture» de l'abdomen.

C'est aussi la première fois qu'une telle greffe de ces tissus est directement réalisée en Europe, relève-t-il.

En 2008, Susanne Butscher, 39 ans, avait donné naissance à Londres à une petite fille née après une greffe ovarienne provenant de sa soeur jumelle. Mais la transplantation avait été réalisée aux Etats-Unis par le Dr Sherman Silber (Saint-Louis, Missouri). Ce dernier a obtenu quatre naissances à partir de greffe entre jumelles monozygotes (identiques), dont les soeurs souffraient de ménopause précoce, selon le Pr Donnez.

Les greffes entre jumelles identiques ne nécessitent pas un traitement anti-rejet qui poserait problème pour mener à bien une grossesse.

Karine, la mère, présentait une ménopause précoce en raison d'un syndrome de Turner, avec absence d'ovaires. Sa soeur jumelle, la donneuse, quoiqu'ayant le même syndrome (une forme dite «mosaïque») a des ovaires normaux et a d'ailleurs eu deux enfants.

Quelques mois après la greffe, le 25 août 2009, la patiente a récupéré un cycle normal, puis est devenue enceinte naturellement, par rapports sexuels et sans recours à la fécondation in vitro, a précisé à l'AFP le Pr Donnez.

Dans les formes «mosaïques», seule une partie des cellules de l'organisme récèlent l'anomalie chromosomique touchant le chromosome X (absence partielle ou totale d'un des deux chromosomes X). Toujours est-il que la plupart des femmes affectées d'un Turner ne sont pas spontanément fertiles.

Mais avec ce syndrome, la grossesse était à haut risque cardiovasculaire et rénal. Karine, la mère, a donc été étroitement suivie pendant la grossesse, souligne le Dr Kerbrat (maternité) qui l'a prise en charge avec les Drs François Baget (cardiologie) et Claude Vaislic (chirurgie cardiaque).

«Le parcours a été long», explique Karine Thiriot, en évoquant ses démarches «depuis une quinzaine d'années» (comme une tentative de fécondation in vitro avec don d'ovocyte à Barcelone) avant que n'arrive cette naissance tant espérée alors qu'elle avait «presque 39 ans».

«Victoria est tout à fait normale et n'a pas de Turner», dit-elle à l'AFP au vu des résultats d'analyses. Le couple a assumé les frais de l'intervention sur les jumelles en Belgique.

Le Pr Donnez vient aussi de publier fin mars le compte-rendu de la première naissance après greffe de tissus ovariens entre soeurs non jumelles dans la revue spécialisée Human Reproduction. La receveuse avait subi un traitement radical (chimiothérapie et irradiation) pour une forme majeure de maladie sanguine (drépanocytose) et bénéficié d'une greffe de moelle provenant de sa soeur. Les cellules de sa soeur ayant fait souche dans son corps, il n'y a pas eu de rejet de ces tissus ovariens «étrangers».