La grippe aviaire, qui a tué plus de 60% de ses victimes, ne se transmet pas aisément d'une personne à l'autre. La grippe A(H1N1) peut quant à elle être véhiculée par un simple éternuement ou une poignée de main mais ne cause la mort que d'une petite fraction de personnes contaminées. Plusieurs scientifiques s'inquiètent d'une possible combinaison des deux infections.

Que se passerait-il si les virus se rencontraient - peut-être en Asie, où la grippe aviaire est endémique - et se transformaient en une nouvelle infection hautement contagieuse, mortelle et capable de se propager dans le monde entier?

Les scientifiques ne connaissent pas le degré de probabilité d'un tel scénario, mais observent que la souche virale de la «grippe mexicaine» -un mélange jamais vu de virus porcin, humain et aviaire- s'est montrée particulièrement à même de saisir le matériel génétique d'autres virus grippaux. Le virus H1N1 «semble avoir cette capacité unique de capter d'autres gènes», souligne le Dr Robert Webster, éminent virologue dont l'équipe a découvert un ancêtre de l'actuel virus grippal dans un élevage porcin de Caroline du Nord en 1998.

L'actuelle souche virale de la grippe A(H1N1) a infecté plus de 2300 personnes dans 24 pays et a coûté la vie à 46 personnes, la plupart au Mexique. Si la grippe aviaire peut être attrapée au contact d'oiseaux, sa transmission interhumaine n'est pas aisée. Jusqu'à présent, au moins 258 personnes ont succombé au virus H5N1 à travers le monde depuis que la maladie a commencé à décimer des élevages avicoles en Asie fin 2003.

L'Organisation mondiale de la santé a fait état de deux nouveaux cas humains de grippe aviaire mercredi, dont un décès au Vietnam, signe que le H5N1 est loin d'avoir disparu et qu'il est nécessaire de ne pas relâcher la surveillance. «Nous n'avons aucune idée de la façon dont le H5N1 se comportera sous la pression d'une pandémie», a déclaré vendredi la directrice générale de l'OMS Margaret Chan lors d'une réunion à Bangkok de hauts responsables de la Santé en Asie par liaison vidéo.

Des experts craignent depuis longtemps la mutation de la grippe aviaire en une forme qui se propagerait facilement. Les trois pandémies grippales passées - la grippe espagnole de 1918, la grippe asiatique de 1957-58 et la grippe de Hong Kong de 1968-69 - étaient liées à des oiseaux, bien que certains scientifiques estiment que le porc a également joué un rôle en 1918.

Pour Robert Webster, la grippe aviaire devrait aujourd'hui inquiéter. Le virus H5N1 est endémique dans des régions asiatiques et africaines et des cas de grippe A(H1N1) sont déjà confirmés en Corée du Sud et à Hong Kong. «Ma grande inquiétude, c'est que nous puissions rencontrer de véritables problèmes quand le virus H1N1 atteindra les épicentres du H5N1 en Indonésie, en Égypte et en Chine», a-t-il expliqué à l'Associated Press.

Malik Peiris, spécialiste de la grippe à l'université de Hong Kong, juge lui que le souci le plus immédiat réside dans la combinaison de la grippe A(H1N1) et de virus grippaux habituels, à l'heure où commence la «saison de la grippe» dans l'hémisphère sud.

Si l'on ne sait rien des conséquences d'un tel mélange, le spécialiste avance qu'un scénario de ce type est possible. Il note ainsi que le virus de la grippe A(H1N1) est passé d'un exploitant agricole au Canada pour infecter environ 220 porcs. Si l'homme et les animaux s'en sont sortis, l'incident a montré combien que le virus pouvait facilement se transmettre d'une espèce à l'autre. Pour l'heure, souligne-t-il, la grippe aviaire n'a pas infecté des porcs, mais la situation pourrait changer et donner lieu à un «scénario inquiétant».

D'après Robert Webster, des discussions sont en cours pour mélanger les virus H1N1 et H5N1 dans un laboratoire de haute sécurité afin d'étudier les aspects d'une combinaison. Les Centres américains de contrôle des maladies (CDC) ont, dit-il, déjà effectué des tests pour mélanger virus de la grippe aviaire et de la grippe saisonnière, aboutissant à un produit faible. Pour le virologue, sous-estimer le virus de la «grippe mexicaine» serait une énorme erreur. Le H1N1 «est un chiot, un nourrisson, et il grandit», dit-il. «Nous devons le surveiller. Il peut soit devenir une mauviette et disparaître soit devenir mauvais».