Des sites hurons-wendats en Ontario ont de 50 à 100 ans de moins qu'on ne le croyait, selon une nouvelle étude américaine. Cela chamboule l'histoire des premiers contacts avec les Français ainsi que nos connaissances sur l'itinéraire d'une exploration de Samuel de Champlain. Les guerres entre Hurons et Iroquois pourraient avoir été dues au climat plutôt qu'à l'arrivée des Européens.

Le plus connu des quatre sites hurons-wendats, Warminster, situé au nord du lac Simcoe, est considéré comme celui qu'a visité Samuel de Champlain dans la région en 1615. La nouvelle datation s'accorde avec cette hypothèse. «Mais quand on a analysé trois autres sites plus au sud, près de Toronto, on a découvert qu'ils étaient de la même époque, le début du XVIIe siècle», explique l'auteur principal de l'étude publiée cette semaine dans la revue Science Advances, Sturt Manning, de l'Université Cornell.

«Comme on n'avait pas retrouvé d'objets européens dans ces trois sites, on pensait qu'ils dataient plutôt du début ou du milieu du XVIe siècle. Notre datation remet en question les conceptions des échanges commerciaux avec les Européens et de leur impact sur les relations politiques entre les différents groupes autochtones. Si des villages hurons-wendats séparés par 80 km de distance ont soit beaucoup, soit très peu d'objets européens, cela signifie que les communications sont moins faciles qu'on le pense, ou alors que certaines communautés ne veulent pas des objets européens. Toute notre analyse des guerres et de la géopolitique autochtones est basée sur une désirabilité universelle des objets européens. On peut même penser que Champlain n'a pas visité Warminster, mais un des trois autres sites.»

Poteries et objets européens

Un archéologue de l'Université de Montréal à qui La Presse a demandé de commenter l'étude, Christian Gates St-Pierre, estime que ces nouvelles dates vont forcer un changement des techniques de datation basées sur la présence d'objets européens. «Ça veut dire qu'on ne peut pas considérer qu'un site où il y en a moins est plus ancien, comme on le fait en ce moment. Il faudra aussi réévaluer la chronologie de l'évolution des poteries.»

M. Gates St-Pierre note que les auteurs de l'étude de Science Advances sont prudents quant aux conséquences de leur découverte. «Ils avancent que le Petit Âge glaciaire a peut-être eu un impact plus important qu'on ne le croit, mais ils savent qu'il faudra plus de preuves.»

Pour le moment, l'hypothèse dominante veut que les Iroquois de l'État de New York et les Hurons-Wendats de l'Ontario aient été décimés par les maladies apportées par les Européens et qu'ils se soient livré une concurrence féroce pour le commerce avec les Européens, qui a mené à l'établissement de deux confédérations ennemies, l'une iroquoise, l'autre huronne-wendate.

Le refroidissement climatique et son impact sur les récoltes ont peut-être joué un rôle aussi important, sinon plus que les maladies et les contacts avec les Européens dans ce bouleversement géopolitique, estime Sturt Manning.

La datation bayésienne

La nouvelle datation utilise la désintégration au fil du temps d'un type d'atome (isotope) retrouvé dans les tissus organiques, le carbone 14, et une méthode statistique appelée «bayésienne», inventée par un mathématicien britannique du XVIIIe siècle.

«Depuis une quinzaine d'années, avec l'amélioration de la puissance des ordinateurs, on peut appliquer les statistiques bayésiennes à la datation au carbone 14, dit M. Manning, de l'Université Cornell. Ça permet d'intégrer des contraintes comme la chronologie des sites et d'exclure les résultats aberrants des données de carbone 14. On s'en est servi au départ pour la datation du monument néolithique de Stonehenge en Angleterre et aussi pour la chronologie du travail des métaux en Asie. En Amérique du Nord, c'est vraiment nouveau.»

Hochelaga

Une datation de type bayésienne a été utilisée pour le site Dawson, fouillé plus tôt cette année sous la rue Sherbrooke. «Ça nous a permis de confirmer que le site était antérieur à la visite de Cartier en 1535, et donc que ce n'est pas Hochelaga», dit M. Gates St-Pierre, de l'Université de Montréal.

L'approche bayésienne pourrait-elle jeter un éclairage sur l'identité des habitants d'Hochelaga en 1535? Les Mohawks, par exemple, considèrent qu'Hochelaga était un village iroquois, alors que les archéologues pensent plutôt qu'au XVIe siècle, les Iroquois vivaient plus au sud dans l'État de New York.

«Pour ce qui est des Iroquois, leur arrivée tardive dans le nord de l'État de New York est bien établie par des documents, dit M. Gates St-Pierre. On ne se fie pas seulement à l'archéologie.»

La décroissance en chiffres

20 000 à 30 000 : Nombre de Hurons-Wendats à l'arrivée de Jacques Cartier

12 000 : Nombre de Hurons-Wendats lors du recensement jésuite de 1640

4000 : Nombre de Hurons-Wendats au Québec en 2018

- Sources : Statistique Canada, L'Encyclopédie canadienne, Secrétariat aux affaires autochtones