Il a été éjecté d'un volcan lunaire il y a 3,8 milliards d'années. Récolté par l'astronaute Harrison Schmitt lors de la mission Apollo 17. Transporté par avion dans une gamelle par une Québécoise mordue d'espace. Et après un parcours rocambolesque, un morceau de Lune est arrivé à Montréal, où il pourra être vu et même touché par le grand public. Récit d'un étonnant voyage.

Il y a 3,8 milliards d'années, sur la Lune. Un volcan entre en éruption, crachant sa lave à la ronde. Celle-ci se refroidit et forme un plateau de roche volcanique appelée basalte.

Sur Terre, à peu près à la même époque, la vie apparaît. L'évolution suit son cours et donne naissance aux êtres humains. Ceux-ci développent leurs moyens technologiques. En décembre 1972, deux de ces humains, Eugene Cernan et Harrison Schmitt, posent le pied dans cette vieille vallée lunaire volcanique. Ils sont astronautes américains et font partie de la mission Apollo 17. Lors d'une marche lunaire, Harrison Schmitt ramasse un caillou de basalte et le ramène au module lunaire. La roche, accompagnée des trois astronautes de la mission, reviendra sur Terre à bord du module de commande. Personne, depuis, n'est retourné sur la Lune.

... à Houston...

Le caillou, poétiquement nommé «échantillon 70215», est entreposé dans une chambre forte au Centre spatial Lyndon B. Johnson, à Houston, avec de nombreuses autres roches lunaires. Les décennies s'écoulent et il ne sera jamais étudié. Il y a quelques années, la gouverneure générale du Canada, Julie Payette, alors directrice du Centre des sciences de Montréal, fait une demande à la NASA : obtenir une roche lunaire qui pourrait être vue par le grand public. «Non seulement la NASA a dit oui, mais elle nous a offert une roche qui peut être touchée», raconte Sara Arsenault, chargée de projet au Centre des sciences. Cette roche, coupée directement sur l'échantillon 70215, est la dixième roche «touchable» lunaire mise en circulation dans le monde. Fait inusité, Donald Trump, lorsqu'il a annoncé un éventuel retour des astronautes vers la Lune avant de se rendre sur Mars, s'est aussi fait offrir un fragment de l'échantillon 70215... mais deux fois plus léger que celui promis à Montréal.

... AUX MAINS DE SARA ARSENAULT...

Au Centre des sciences de Montréal, il faut désigner un responsable pour aller chercher le précieux caillou à Houston. Sara Arsenault, chargée de projet, n'ose lever la main. Mais celle qui se décrit comme une «fan finie» d'espace rêve de se voir confier la mission. «Je sais bien qu'à 5 ans, tout le monde veut devenir astronaute. Mais moi, ça ne m'a jamais lâchée. Ado, j'étais dans un club aérospatial où on faisait des missions de longue durée dans une navette de plywood», raconte-t-elle.

Le Centre des sciences comprend que pour parler aux passionnés de la NASA, il faut une femme tout aussi passionnée. Sara Arsenault est désignée. «Là, je commande des t-shirts de geek et je réécoute toutes mes séries cultes sur l'espace. Le 1er avril, je pars pour Houston et j'ai 12 ans dans ma tête. Tous mes collègues en ont entendu beaucoup trop parler», raconte-t-elle.

Sur place, Sara Arsenault vit son rêve de petite fille. Elle voit le centre de commande des missions Apollo, les maquettes grandeur nature des modules de la Station spatiale internationale, la fusée Saturn V. Après de minutieuses procédures de décontamination et l'enfilage d'un habit spécial, on la fait pénétrer dans une chambre forte protégée par une lourde porte. Tous les échantillons des missions Apollo y sont entreposés. Et on lui remet... un petit morceau de Lune.

... À UNE GAMELLE...

Comment rapporter le trésor? «J'imaginais une mallette noire, et moi menottée après», lance Sara Arsenault. Mais pour éviter d'attirer les regards, les responsables de la NASA placent plutôt le fragment de Lune dans une gamelle (boîte à lunch) aux allures de petite glacière de camping. «Je suis super émue, mais aussi très fébrile. Je ne veux pas l'oublier dans le taxi ou aux toilettes», relate Mme Arsenault. Voyant la gamelle, les douaniers croient à de la nourriture et veulent la saisir. «Je leur ai dit d'une voix basse : "Non, non, c'est une roche lunaire." J'avais évidemment une lettre de la NASA. Ils ont été super respectueux et ne l'ont pas passée aux rayons X», raconte Mme Arsenault. C'est avec son colis sur les genoux, et non dans les compartiments à bagages, que Sara Arsenault fait son vol de retour. «En arrivant, je suis allée directement au Centre des sciences, dans la nuit, pour la mettre en sécurité», dit-elle.

... AU CENTRE DES SCIENCES

La roche lunaire sera dévoilée vendredi par Sara Arsenault en présence de nul autre que l'astronaute québécois David Saint-Jacques. Elle sera exposée au public dans une zone d'exposition traitant de la recherche de l'eau dans l'Univers. «Ça a l'air d'une roche banale, elle a la taille d'une gomme à effacer d'écolier. Mais on est vraiment honorés de l'avoir chez nous», dit Sara Arsenault.

Un premier contact lunaire... bien québécois

Le fait est peu connu, mais le tout premier contact de l'être humain avec la Lune a une dimension québécoise. C'est que les pattes des modules lunaires des missions Apollo, techniquement les premières à avoir touché la Lune, ont été fabriquées à Longueuil par l'entreprise Héroux (aujourd'hui Héroux-Devtek). Ces pattes ne sont jamais revenues sur Terre. Mais l'une d'elles, qui n'a jamais pris le chemin de l'espace, sera exposée au Centre des sciences aux côtés de la roche lunaire.