Cailles rôties, épaule d'agneau confite à la sauge, homard breton, joue de boeuf... la gastronomie française s'exporte depuis près de 20 ans dans l'espace, où elle améliore l'ordinaire lyophilisé des astronautes dans les grandes occasions, fêtes d'anniversaire ou de Noël.

L'histoire débute en 1993, lorsque le spationaute français Jean-Pierre Haigneré rentre d'une mission dans la station russe Mir. Tout s'est parfaitement déroulé, les expériences ont été couronnées de succès... mais la nourriture de Mir laissait à désirer, lâche-t-il lors d'une interview à la radio.

Hareng froid, pain noir, fromage en boîte... rien de bien réjouissant pour un palais tricolore.

Horrifié, Richard Filippi, professeur au lycée hôtelier de Souillac (Lot), prend alors contact avec le CNES, l'agence spatiale française, se souvient Lionel Suchet, directeur adjoint du Centre spatial de Toulouse.

Son enthousiasme est tel que le CNES monte un projet pédagogique avec son lycée hôtelier pour concevoir de bons petits plats qui pourraient accompagner dans l'espace le prochain spationaute français.

Cela signifie en premier lieu «éviter toute intoxication de l'équipage de Mir» avec des règles très strictes de sécurité et d'hygiène, quasiment «zéro bactérie».

Les plats ne doivent en outre être ni trop secs, ni trop liquides. «Trop sec, cela provoque des miettes que les cosmonautes peuvent inhaler (...) Trop liquide, c'est le «syndrome du capitaine Haddock», avec des bulles qui flottent et risquent de créer des courts-circuits», souligne M. Suchet.

Les boîtes métalliques doivent en outre être ultra-légères, pouvoir être consommées à la cuillère, se réchauffer entre les pinces des «fours à conduction» utilisés dans l'espace, etc.

Surmonter toutes ces contraintes en faisant de la bonne cuisine n'était pas une mince affaire pour les lycéens.

Mais les conserves ont passé tous les tests des Russes et «à notre grande fierté, on a commencé à faire voler des boîtes de nourriture française sur le vol de Claudie Haigneré en 1996», lance le responsable du CNES.

Pas de cochon dans l'espace

Les plats tricolores remportent un franc succès auprès des cosmonautes. À tel point que lorsque la mission française de 1997 est reportée, les Russes demandent au CNES s'ils peuvent quand même emporter la nourriture initialement prévue...

«On a compris alors qu'il y avait un enjeu important, non seulement opérationnel mais aussi psychologique, pour l'équipage qui a besoin de se retrouver ensemble autour de bons repas pour les grandes occasions», résume M. Suchet.

Le projet pédagogique de Souillac se professionnalise même avec l'arrivée du chef Alain Ducasse, qui monte avec le CNES le programme «Special event meals» (SEM) pour obtenir la certification de la Nasa.

Depuis 2009, les conserves françaises figurent ainsi au menu de la Station spatiale internationale (ISS). «Il y en a quasiment en permanence dans l'espace, avec l'idée d'offrir à tout l'équipage de l'ISS un bon repas environ une fois par mois», indique M. Suchet.

Elles sont concoctées en chambre stérile dans un laboratoire de la société Hénaff, à Pouldreuzic (Finistère). Réputée en France pour ses conserves de pâté de porc, la PME bretonne (200 personnes) est à ce jour la seule entreprise de l'Hexagone a avoir l'agrément des autorités américaines pour exporter des produits à base de viande aux États-Unis.

Pas de pâté ou de cochon dans les menus spatiaux jusqu'à présent, même si les équipes d'Alain Ducasse assurent qu'il n'y a «aucune contre-indication» a priori et disent y travailler.

Officiellement certifiée par le CNES mercredi, Hénaff apporte surtout son expertise en matière d'appertisation (stérilisation à la chaleur), pour conserver les propriétés gustatives et nutritives des aliments en éliminant toute contamination microbienne, ainsi que dans le sertissage des boîtes d'aluminium ultra-léger.

L'an prochain, 2000 plats individuels issus de 25 recettes (entrées, plats et desserts) seront fabriqués pour le compte du CNES.

«Même si au niveau financier, la France n'avait plus vraiment les moyens de participer à l'ISS, nos partenaires internationaux nous garderaient pour la cuisine...», plaisante le cosmonaute Michel Tognini.