Plantés au milieu des palmiers et des hibiscus, les drapeaux russe et d'Arianespace flottent côte à côte, symbolisant une collaboration inédite qui doit aboutir au lancement de la mythique fusée de l'ex-URSS, Soyouz, depuis la base européenne de Kourou, en Guyane.

À une dizaine de kilomètres du pas de tir, vivent une cinquantaine de Russes préparant avec les Européens l'envoi fin juillet du lanceur qui avait offert en pleine Guerre froide le cosmos au premier satellite --Spoutnik, 1957-- et au premier homme --Gagarine, 1961--.

«On a plutôt de la chance point de vue climat: actuellement, la température ici s'élève à +28°C. À Moscou, il fait -28°C», constate Sergey Ermolaev, directeur technique adjoint du chantier pour trois mois, selon le système de rotation en vigueur.

Le lancement a été retardé de plus d'un an à cause des difficultés liées au montage du portique mobile, une tour d'accès fermée protégeant la fusée, indispensable pour résister aux intempéries guyanaises. «Il y a des événements intempestifs», observe le placide ingénieur.

Aux journalistes français venus visiter les installations, il affirme que «la coopération avec les Européens se passe très bien. Nous avions appris à travailler ensemble à Baïkonour», le cosmodrome russe au Kazakhstan.

Arianespace et Soyouz sont partenaires depuis 1996. Après la chute du rideau de fer, les Occidentaux s'étaient précipités sur l'industrie spatiale russe menacée par l'implosion de l'Union Soviétique.

L'un des secteurs porte-drapeaux de l'empire communiste risquait de perdre son savoir-faire faute de moyens: les Américains, Lockheed Martin et Boeing, ont mis la main respectivement sur les lanceurs Proton et Zenith, et les Européens sur Soyouz.

La coopération s'est accélérée après un accord franco-russe signé en 2003. Avec Soyouz, l'Europe va disposer d'un lanceur destiné à mettre en orbite des satellites de plus petite taille qu'Ariane 5: 3 tonnes contre 10.

«Nous avons les mêmes approches en matière de sécurité et de conquête spatiale que les Européens», assure M. Ermolaev. La réalité présentée par les ingénieurs français diffère cependant quelque peu.

Pour expliquer l'approche des Russes, «simple, rustique mais qui fonctionne sans grande dépense», nombre d'experts occidentaux racontent cette anecdote: pour écrire dans l'espace, les Américains avaient développé un stylo antigravité avec de l'encre pressurisée, fonctionnant dans toutes les positions, alors que les Russes avaient tout simplement gardé le crayon à papier...

Quand ils estiment une solution éprouvée, les Russes ne voient aucune nécessité d'en changer, d'autant que de toutes les fusées, Soyouz a le plus grand nombre de tirs à son actif: 1.700 lancements.

Ainsi, à Kourou, les Européens avaient recalculé les dimensions du carneau, la fosse pour évacuer les gaz de combustion au moment du lancer. Ils le voulaient plus petit pour économiser des coûts de dynamitage, mais les Russes ont refusé.

Malgré des différences culturelles et bien que les ingénieurs restent sur leurs gardes face aux risques de transferts de technologie incontrôlés, une certaine confiance semble s'être installée.

«Quand les gens font de la technique ensemble, on apprend à s'apprécier», affirme Jean-Claude Garreau, chef d'orchestre du lancement Soyouz à Kourou, qui connaît M. Ermolaev depuis 1997 et a appris le russe lors de ses déplacements à Baïkonour.

Et M. Ermolaev de renchérir: «avec les ingénieurs français, on commence à ne plus avoir besoin d'interprètes pour se comprendre, même si l'on ne parle pas leur langue».