L'histoire débute avec un biologiste qui se demande pourquoi les nageoires des baleines à bosse sont pleines de protubérances alors que les ailes des avions sont lisses. Par de curieux hasards, il entre en relation avec un ingénieur américain et un Canadien touche-à-tout. Aujourd'hui, l'improbable trio dirige une entreprise qui réinvente les pales des ventilateurs et des éoliennes. Leur travail vient de recevoir une nomination pour un prix de l'Office européen des brevets.

UN BIOLOGISTE INTRIGUÉ

Frank Fish était perplexe. La baleine à bosse est une nageuse émérite qui, malgré ses 40 tonnes, effectue d'habiles manoeuvres pour attraper ses proies et se projeter hors de l'eau dans de spectaculaires sauts. Or, la partie avant de ses nageoires est pleine de petites bosses, appelées tubercules. « D'après ce que je savais de la mécanique des fluides, ça n'avait aucun sens », a dit le biologiste new-yorkais dans une vidéo dévoilée récemment par l'Office européen des brevets. Quand ils conçoivent des ailes d'avion ou des pales d'hélice, les ingénieurs s'assurent en effet de les faire bien lisses pour briser la résistance de l'air ou de l'eau. L'évolution se serait-elle trompée ? Frank Fish ne parvenait pas à y croire.

UN INGÉNIEUR À LA RESCOUSSE

Frank Fish a parlé de ses interrogations à bien des gens au fil des ans, mais personne n'était vraiment intéressé par ses lubies de nageoires de baleine. Il a fini par publier un article scientifique sur ses questionnements. Celui-ci est tombé dans les mains de Philip Watts, un ingénieur américain spécialisé dans les éoliennes. L'homme a tout de suite compris que les observations de Frank Fish étaient importantes. Sur ordinateur, il a fait des simulations de dynamique des fluides et découvert que les tubercules des nageoires permettent à la fois d'augmenter la portance des baleines et de diminuer la résistance à l'eau. Les deux hommes ont décidé d'unir leurs efforts pour transférer ces principes au monde technologique.

UN CANADIEN DANS LE BATEAU

Stephen Dewar est un Torontois touche-à-tout qui porte les chapeaux d'inventeur, d'entrepreneur et de réalisateur de films. C'est en écoutant l'émission de vulgarisation scientifique Quirks & Quarks, à la radio de la CBC, qu'il a entendu parler de l'idée de Frank Fish et de Philip Watts. Il a immédiatement pris le téléphone pour les appeler. « J'ai réalisé plusieurs documentaires sur les baleines à bosse et je réfléchissais déjà à la façon d'augmenter l'efficacité de l'industrie éolienne. Quand j'ai entendu leur idée, ça me semblait idéal », raconte-t-il à La Presse. M. Dewar voulait seulement encourager les deux hommes. Mais de fil en aiguille, il a fini par les entraîner dans la création d'une entreprise, qui s'appelle aujourd'hui WhalePower Corporation et qui est installée à Toronto.

DES APPLICATIONS DIVERSES

WhalePower, qui ne compte que quatre employés, a déposé des brevets partout sur la planète et accorde des licences aux entreprises qui veulent commercialiser des produits incluant des pales à tubercules inspirées des nageoires des baleines à bosse. L'entreprise ontarienne Envira-North Systems Ltd vend déjà des ventilateurs pour les bâtiments et pour le refroidissement des ordinateurs qui fonctionnent selon ce principe et qui, selon elle, sont 20 % plus efficaces que les modèles standard. Une autre entreprise teste le concept sur des éoliennes. Cette semaine, Stephen Dewar, Philip Watts et Frank Fish ont reçu une sélection pour l'inventeur de l'année, catégorie hors Europe, par l'Office européen des brevets.

Photo fournie par l’Office européen des brevets.

Philip Watts

Photo fournie par l’Office européen des brevets.

Une baleine à bosse.