Les fonds marins sont menacés. Tel est le cri d'alarme que lance un groupe international de biologistes et d'économistes. Les progrès technologiques permettent une intensification de la drague, de l'exploration pétrolière, voire des mines sous-marines. Nos explications.

L'industrie sous les mers

Tout a commencé sur la plage de Sète. En novembre 2012, la société minière sous-marine canadienne Nautilus Minerals y a organisé une conférence internationale sur la restauration des fonds marins, au centre de recherche gouvernemental français Ifremer. L'objectif : calculer le coût écologique de l'industrialisation des sept mers.

« Nous avons réalisé qu'avant de parler de restauration, il fallait s'occuper de protection », explique Ed Barbier, économiste à l'Université du Wyoming et auteur principal d'un appel à la protection des fonds marins publié à la mi-janvier par la revue Nature. « Je travaille personnellement sur les questions économiques côtières. Mais avec les progrès des mines, de l'exploration pétrolière et des pêcheries, il faut maintenant avoir une stratégie mondiale pour les fonds marins. Beaucoup de développements ont lieu au-delà des limites maritimes nationales. »

Depuis dix ans, quatre résolutions et une demi-douzaine de rapports sur la protection des fonds marins des excès des pêcheries ont été remis à l'ONU, sous l'impulsion de la Coalition de conservation des eaux profondes, regroupement d'ONG écologistes. La Coalition vise maintenant l'encadrement des activités minières, en notant que des licences d'exploration ont été accordées à plus de 600 000 km2 de fonds marins, seulement dans les 50 millions de kilomètres carrés d'océan directement régis par des pays (eaux territoriales).

Plus une espèce vit en profondeur, plus elle vit longtemps, explique M. Barbier. Et moins elle se reproduit rapidement. « Ce qu'on détruit en haute mer, on risque de le perdre définitivement. Les collines sous-marines qui sont particulièrement visées par les dragueurs ont des écosystèmes isolés qui ne peuvent souvent pas se restaurer par eux-mêmes. Quand on enlève beaucoup de biomasse des fonds marins, ça a aussi un impact sur toute la colonne d'eau, à des profondeurs moins grandes. Les organismes qui vivent à différentes profondeurs ont des liens entre eux. »

Un cadre d'ensemble

L'autorité internationale des fonds marins (ISA), organisme de l'ONU, ne s'occupe que de l'industrie minière et pétrolière et n'a pas de mandat particulier de protection des écosystèmes, selon l'économiste américain. « L'ISA n'a pour le moment que des ententes limitées sur la restauration des fonds marins. C'est dans ce cadre que Nautilus a financé la rencontre de Sète en 2012. Il faut un cadre d'ensemble. »

La résistance des écosystèmes sous-marins peut-elle être sous-estimée ? Plusieurs études ont avancé que les microbes ont digéré rapidement la quasi-totalité du pétrole qui s'est échappé du puits avarié par l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique en 2010. « C'est vrai, on a eu beaucoup moins de dommages côtiers que prévu, dit M. Barbier. Mais de là à savoir précisément ce qui s'est passé à 4 km de profondeur, je crois qu'il y a un pas. Il est possible qu'il reste beaucoup de pétrole dans les alentours du puits, même si on a vu une augmentation impressionnante de l'activité microbienne dans la colonne d'eau. »

Ainsi, seulement un des six récifs de corail de la Suède a survécu à l'intensification du dragage par les pêcheries depuis les années 60. Mais il est possible de les restaurer, a montré l'an dernier une équipe de l'Université de Göteborg. Des coraux en bonne santé, transplantés sur les récifs éteints, affichent un taux de survie de 76 % après trois ans, avec un rythme de croissance de 39 %. « C'est très encourageant, dit Ed Barbier. Mais avec une telle croissance, il faut des années avant de restaurer un écosystème. Et les coûts impliqués sont énormes, deux à trois fois plus élevés que près des côtes. »

L'économiste Ed Barbier avance qu'une partie des subventions aux pêcheries pourrait être détournée vers la restauration. Selon une étude de l'Université de Colombie-Britannique parue en 2010 dans la revue Marine Policy, la pêcherie par drague reçoit mondialement 150 millions US de subventions sur des revenus de 600 millions US, comparativement à 27 milliards US de subventions sur des revenus de 84 milliards US pour la totalité des pêcheries.

Même l'Antarctique

L'exploitation minière et pétrolière est interdite en Antarctique jusqu'en 2048. Mais le continent suscite de plus en plus d'intérêt, car ses eaux côtières abritent au moins 50 milliards de barils de pétrole, selon des estimations américaines. La Chine y a construit quatre stations de recherche dans la dernière décennie, probablement dans le but de se positionner pour le moment où le continent sera ouvert aux industries, selon Anne-Marie Brady, une politologue de l'Université de Canterbury, en Nouvelle-Zélande, qui vient de publier le livre China's Polar Strategy. L'automne dernier, une réunion internationale des membres du Traité de l'Antarctique n'a pas réussi à s'entendre sur la création de deux zones protégées où la pêche serait interdite.