Laurent Hubert aime son grand-père Célestin depuis toujours. C’est pourquoi, au lendemain du grave accident de sa grand-mère, le jeune homme de 19 ans a choisi d’aller vivre avec son héros de 83 ans pour l’aider à surmonter son deuil. Une histoire de complicité et de compassion.

Le drame est survenu le 25 janvier dernier. La grand-mère, Colette, a perdu l’équilibre dans l’escalier menant au sous-sol. Elle était toujours consciente lorsque Célestin l’a retrouvée étendue au pied des marches. Elle ne sentait cependant plus son corps. Le diagnostic fut brutal : fracture de la colonne vertébrale avec atteinte à la moelle épinière.

Pour cette octogénaire active, universitaire en ergothérapie, la perspective de vivre paralysée du cou jusqu’aux pieds était intolérable. Un mois après l’accident, elle a demandé un arrêt des traitements. Elle s’est éteinte quelques heures plus tard.

« Elle m’a annoncé sa décision un mercredi. Elle voulait que ça se fasse le vendredi. Je lui ai demandé pourquoi faire ça si vite. Elle m’a dit : “Tu as raison, ce sera samedi”, se rappelle Célestin Hubert, un léger sourire aux lèvres, en levant les yeux vers son petit-fils pour surmonter l’émotion.

Assis dans la résidence familiale de Notre-Dame-de-Grâce, le temps d’un silence, les deux hommes s’échangent des regards emplis de reconnaissance et de bienveillance. Depuis l’accident de sa grand-mère, Laurent est là pour soutenir son grand-père dans l’épreuve. « J’ai accepté son offre de venir vivre avec moi dès qu’il me l’a offerte », raconte le vieil homme.

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Laurent et Célestin Hubert

« Je savais que Célestin avait besoin d’aide à cause de sa surdité et de ses maux aux mains, explique pour sa part le jeune étudiant en droit à l’Université de Montréal. J’ai aussi déjà vécu dans cette maison, quelques jours, tout seul. Je sais comment on y ressent rapidement la solitude. Je me suis dit que ce serait difficile pour lui. »

La cohabitation ne devait durer, au départ, que le temps de la convalescence de Colette. Mais le vide abyssal laissé par son départ n’a fait qu’amplifier la nécessité d’une présence constante.

« Le simple fait de se faire dire bonjour et de s’informer de l’autre, c’est précieux. Tant qu’on restera d’accord, il n’y a pas d’échéance », glisse Célestin Hubert, tout doucement, comme un vœu.

Deuil et souvenirs

La relation étroite entre Célestin et Laurent ne date pas d’hier. Elle est enracinée dans les innombrables petits moments de l’ordinaire qui ont jalonné la jeunesse du petit-fils. « J’étais souvent ici quand j’étais plus jeune », confie Laurent en jetant un regard à la ronde.

Célestin confirme : « Laurent était très proche de Colette. Quand on est ensemble, il me dit souvent : “Grand-maman ferait ça de telle manière.” Ses souvenirs m’aident à faire mon deuil. C’est ainsi qu’on accepte l’absence de celle qu’on aime. En rappelant sa présence », confie l’homme qui a tenu, il n’y a pas très longtemps, à célébrer en grand le 53e anniversaire de vie commune avec l’amour de sa vie.

« Avec du champagne et des huîtres des Îles-de-la-Madeleine, comme à notre mariage ! Colette adorait le champagne », se souvient le natif de Havre-aux-Maisons, qui a toujours conservé son accent chantant.

Des souvenirs de sa grand-mère, Laurent en a plein la tête. Lorsqu’il était écolier, il avait l’habitude de venir dîner dans cette maison tous les vendredis. Il revenait faire ses devoirs sur cette même table de cuisine avant de se rendre aux rencontres de sa troupe scoute, au sous-sol de l’église tout près.

À tous ces petits moments quotidiens s’ajoutent les visites faites à l’improviste, juste pour le plaisir de passer et dire coucou. Les années ont ainsi passé dans l’insouciance.

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Laurent et Célestin Hubert

Et un jour, c’est tout naturellement vers Laurent que sa grand-mère s’est tournée pour qu’il vienne tenir compagnie à son grand-père, le temps d’un voyage sur la Côte-Nord. Cette première cohabitation a soudé bien des liens. « On s’entend bien », reconnaît Célestin.

« Laurent est un garçon plein d’empathie. Il a l’oreille fine et il a de bons réflexes. Il comprend rapidement ce dont l’autre a besoin. Il est vaillant, et il ne casse pas la vaisselle », poursuit l’ancien journaliste de Radio-Canada, pince-sans-rire.

D’un air complice, Laurent prend aussitôt la balle au bond.

Célestin est sourd, mais il a une bonne écoute. Il a aussi un grand cœur. Si je dis que j’aime une sorte de biscuits, j’en trouve 10 boîtes dans les armoires, la semaine suivante. Je lui connaissais plein de qualités. Maintenant, je les vois au quotidien.

Laurent

La pomme n’est visiblement pas tombée très loin de l’arbre. À travers ses études en droit, Laurent Hubert parvient à œuvrer dans une clinique juridique, à travailler à l’école primaire de quartier et à revêtir aussi sa chemise d’animateur scout tous les lundis. « Je m’inspire des valeurs de mon grand-père. J’apprends en discutant avec lui », dit-il en haussant les épaules.

Maison de jeunes

Les multiples occupations de Laurent font souffler un vent de jeunesse sur la maison de Célestin. La salle à manger est ainsi vite devenue une salle de réunion et d’études pour les camarades de classe du garçon.

« Plusieurs de mes amis n’ont pas la chance de voir leurs grands-parents très souvent. Ils sont étonnés de pouvoir souper avec mon grand-papa, et ils aiment ça ! », raconte Laurent, très fier de la générosité de Célestin.

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Laurent et Célestin Hubert

« L’autre jour, il est arrivé avec deux kilos de moules, du pain, des pâtés et du fromage pour tout le monde », poursuit le jeune homme, encore amusé de l’air ahuri de ses amis. « Vous auriez dû voir le souper de finissants qu’il avait organisé à la fin de mon cégep ! »

À l’évidence, le vieil homme apprécie le passage de ces jeunes dans sa maison. C’est un bonheur, dit-il, de regarder s’épanouir les aspirations de la jeune génération. « La veuve d’un de mes amis, décédé récemment, devra se résoudre à vendre sa maison. La solitude, c’est un enjeu pour les personnes âgées seules. Je lui ai recommandé de trouver quelqu’un. Comme Laurent », conclut le grand-père.