Dans un monde où les produits préfabriqués et prêts à installer ont la cote, les métiers traditionnels du bâtiment ne cessent de perdre du terrain. Le plâtrier, le charpentier, le maçon sont désormais en voie de disparition, ce qui menace d'autant l'intégrité de notre patrimoine architectural. Tour d'horizon.

Un savoir-faire qui disparaît

Lauzier. Ornemaniste. Escaliéteur. Non, ce ne sont pas de nouvelles insultes ajoutées au répertoire du capitaine Haddock. Ce sont des métiers. Plus précisément des métiers traditionnels du bâtiment. Des métiers d'art, en fait, qui sont en voie d'extinction.

Le lauzier se spécialise dans la pose de lauzes, des dalles de pierre calcaire utilisées pour les toitures. L'ornemaniste dessine et exécute des motifs décoratifs en plâtre ou en stuc, ou encore en métal. L'escaliéteur, eh bien... il conçoit et construit des escaliers. Ce ne sont là que 3 des 20 métiers pour la survie desquels lutte la Fondation Saint-Roch, à Québec, qui estime que, sans eux, la richesse et la pérennité du patrimoine architectural québécois sont en péril.

C'est aussi l'avis d'Yves Lacourcière, ingénieur et ethnologue, qui se bat depuis des années pour la sauvegarde du patrimoine bâti, laquelle ne s'imagine pas sans les ouvriers capables de réparer ou de reproduire les éléments architecturaux qui le caractérisent.

« Les métiers traditionnels sont aussi indispensables à la sauvegarde du patrimoine que le savoir-faire du luthier l'est à celle des instruments à cordes», selon Yves Lacourcière.

Or, à mesure que les techniques de construction se sont industrialisées et standardisées - charpentes et fenêtres préfabriquées, panneaux de gypse au lieu de plâtre, boiseries et parquets usinés -, la formation des ouvriers, dans les écoles de métiers accréditées, s'est rétrécie au point de laisser presque complètement de côté les méthodes traditionnelles.

« Le jeune qui a fait son cours de charpentier-menuisier, il va obtenir son certificat de compagnon au bout de 6000 heures de travail dans les chantiers, explique M. Lacourcière, mais ce sera 6000 heures à poser des fenêtres préfabriquées ou des moulures usinées. Il ne saura pas, à moins de s'y intéresser personnellement, comment bâtir une fenêtre ni faire un assemblage en tenon et mortaise. »

Une espèce en voie d'extinction

Ceux et celles qui s'intéressent à ces techniques traditionnelles doivent donc trouver un artisan qui voudra bien leur transmettre son savoir, ce qui devient de plus en plus difficile puisque ces artisans prennent de l'âge et que leur nombre diminue d'année en année. Yves Lacourcière estime qu'ils sont tout au plus 1500 actuellement et que leur âge moyen se situe autour de 60 ans. À titre de comparaison, ils étaient 90 000 en 1920, et 3500 en 1994. « Si rien n'est fait, assure Yves Lacourcière, ces métiers auront complètement disparu dans 5 ou 10 ans. »

En outre, comme la transmission des connaissances se fait pratiquement au hasard des rencontres, elle est forcément partielle. Il en résulte que le savoir de tel artisan qui se définit comme maçon traditionnel ne sera pas équivalent à celui d'un autre... avec les aléas que cela comporte quand il s'agit d'intervenir dans un bâtiment ancien.

C'est pourquoi M. Lacourcière, la Fondation Saint-Roch et même le Conseil des métiers d'art du Québec (CMAQ) militent auprès de la Commission de la construction du Québec (CCQ) pour la mise sur pied de programmes de formation spécifiques et pour l'établissement de normes et de standards professionnels.

Le CMAQ a bien entrepris, en 2011, un processus d'évaluation et de reconnaissance des compétences des artisans du bâtiment. À ce jour, son répertoire regroupe 146 membres dans 16 disciplines... dont 63 peintres décorateurs et 25 vitraillistes, verriers et mosaïstes. Cela laisse bien peu de praticiens dans les 14 autres métiers reconnus par le CMAQ et liés à la construction comme telle : charpentiers, menuisiers d'art, ébénistes, ferronniers et forgerons d'art, maçons, plâtriers ornemanistes, tailleurs de pierre, sculpteurs, fondeurs et métalliers d'art.

De son côté, la CCQ a entamé en 2015 la révision des définitions des métiers de la construction, aux fins de quoi elle a consulté divers intervenants. Sa porte-parole, Mélanie Malenfant, affirme que, à la lumière des mémoires qui lui ont été soumis, l'organisme entend dès cette année soumettre des propositions concrètes pour, d'une part, favoriser la transmission du savoir entre les maîtres artisans et les nouveaux ouvriers et, d'autre part, faciliter la reconnaissance des compétences des travailleurs du patrimoine bâti.

Si Yves Lacourcière exprime un certain scepticisme quant à la célérité de la réponse de la CCQ, la directrice générale de la Fondation Saint-Roch, Magali Lavigne, se montre optimiste : « Ça fait quatre ans qu'on planche là-dessus. Je ne m'avancerai pas sur ce que va proposer la CCQ, mais je peux vous dire que l'écoute est là, il y a une belle évolution. Tout le monde sait ce qu'il faut faire ! »

Il ne reste plus qu'à le faire...

En sursis...mais recherchés

Forgeron

Autrefois, au Québec, chaque village comptait son forgeron, et la forge était même un lieu de socialisation. De nos jours, le métier ne s'enseigne même plus. Les quelques artisans capables de concevoir et de façonner une rampe d'escalier, des ferrures de porte, un portail ou une grille ouvragée sont pour la plupart autodidactes ou ont été formés en Europe. Sans des passionnés comme Mathieu Collette, qui a cofondé Forges de Montréal pour perpétuer ce savoir ancestral, l'art de la forge serait condamné à l'oubli.

PHOTO MATHIEU WADDELL, LA PRESSE

Mathieu Collette, cofondateur des Forges de Montréal, qui s'est donné pour mission de perpétuer le savoir du forgeron. Lui-même est allé chercher sa formation de base en France.

Couvreur-ornementiste

Il fut un temps pas si lointain où, plutôt que de remplacer les élégantes coquetteries des maisons anciennes - corniches, frises, gargouilles, lucarnes -, on se contentait de les éliminer. Heureusement, une prise de conscience collective aidée de règlements municipaux plus sévères tendent à circonscrire le massacre. Or, Pascal Perron, ferblantier ornemaniste autodidacte, estime qu'il ne reste plus que deux ou trois maîtres artisans comme lui, capables de reproduire ces ornements. Quand il regarde l'état de détérioration actuel du patrimoine bâti, il s'inquiète : « Il faut une relève, et vite ! »

PHOTO MATHIEU WADDELL, LA PRESSE

Pascal Perron (à droite) et son chargé de projet, Benoît Perreault, installent une corniche de cuivre sur une maison d'Ahuntsic, à Montréal.

Plâtrier

Il y a un monde entre le gypse et le plâtre véritable. Encore plus quand le plâtre s'orne de moulures et de rosaces. Un dégât d'eau, une rénovation majeure, et un entrepreneur un peu pressé convaincra son client que plus personne ne peut réparer ou reproduire ces ornements. Sylvain Tremblay, propriétaire de l'entreprise Syltre, est l'un des rares qui pratiquent encore cet art. Il fait 80 % de son chiffre d'affaires grâce à la restauration patrimoniale « Dans les années 70, tout le monde enlevait les belles moulures, dit-il. Maintenant, les gens sont plus conscients de la valeur de ces ornements et veulent les conserver, mais les artisans capables de le faire se comptent sur les doigts d'une main. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE