(Beitunia) Dans l’obscurité de la nuit, les écrans de téléphone brillent : personne, en Cisjordanie occupée, ne veut rater l’arrivée triomphale des femmes et enfants palestiniens sortis vendredi des prisons israéliennes.

Au total, 39 prisonniers palestiniens ont retrouvé leur domicile, en vertu d’une trêve qui a permis en même temps la libération de 13 otages israéliens, enlevés le 7 octobre par le mouvement islamiste Hamas.

Sous les slogans, au milieu des feux d’artifice, dans une nuée de keffiehs, de drapeaux palestiniens et des différents mouvements dont l’étendard vert du Hamas, les détenus libérés embrassent leurs familles et pleurent dans les bras de parents émus.

À Beitunia, des centaines de Palestiniens fêtent les « héros » enfermés « pour la liberté de tous les Palestiniens », lance un orateur dans un micro crachotant.  

La soirée avait pourtant commencé dans les cris : des soldats israéliens ont tiré des grenades lacrymogènes et le Croissant-Rouge palestinien a recensé au moins trois blessés par balles.

Plus au nord, à Balata, le remuant camp de réfugiés de Naplouse, la grande ville du nord de la Cisjordanie, la sortie « des héros » réjouit aussi la foule.

« Les frères qui résistent »

Mais personne, lance un orateur, n’oublie « nos frères qui résistent et qui tiennent bon à Gaza, à Jénine ». Cette ville de Cisjordanie occupée a connu le 9 novembre sa journée la plus meurtrière (14 morts) depuis au moins 2005, selon l’ONU qui recense les morts de ce territoire depuis cette date.

Car si la guerre fait rage depuis sept semaines à Gaza, les violences ont aussi flambé en Cisjordanie. Vendredi matin, un Palestinien de 22 ans a été abattu par l’armée israélienne à Jéricho, selon l’Autorité palestinienne.

Depuis le 7 octobre et l’attaque sanglante du Hamas qui s’est soldée par 1200 morts en Israël, en majorité des civils selon les autorités israéliennes, et environ 240 otages, quelque 15 000 personnes sont mortes à Gaza, selon le gouvernement du Hamas.

Dans le même temps, plus de 200 Palestiniens ont été tués par des colons et des soldats israéliens en Cisjordanie, selon le ministère de la Santé palestinien.

PHOTO JAAFAR ASHTIYEH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Sous les slogans, au milieu des feux d’artifice, dans une nuée de keffiehs, de drapeaux palestiniens et des différents mouvements dont l’étendard vert du Hamas, les détenus libérés embrassent leurs familles et pleurent dans les bras de parents émus.

Les ONG palestiniennes affirment qu’environ 3000 Palestiniens ont été arrêtés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupées depuis le début de la guerre. Elles ont également annoncé la mort de six prisonniers en détention depuis le 7 octobre.

Et dans les Territoires occupés, l’expérience carcérale est une des plus partagées : selon l’ONG Addameer, environ 800 000 Palestiniens sont passés dans les prisons israéliennes depuis la guerre israélo-arabe de juin 1967 et le début de l’occupation des Territoires palestiniens.  

L’organisation de défense des prisonniers recense actuellement 200 enfants palestiniens et 84 femmes dans des prisons israéliennes, sur plus de 7000 prisonniers.

Jérusalem-Est sous surveillance

À quelques kilomètres de la Cisjordanie, Jérusalem-Est, occupée par Israël depuis 1967, vit une soirée encore différente. La joie s’y exprime à bas bruit, sous le regard des policiers israéliens.  

« La police est chez nous et empêche les gens de venir nous voir », raconte à l’AFP Fatina Salman. Car toute célébration autour des prisonniers libérés est interdite à Jérusalem.

Sa fille Malak, 23 ans, avait été arrêtée sur le chemin de l’école il y a sept ans pour avoir tenté de poignarder un policier à Jérusalem.  Incarcérée en février 2016, elle ne devait pas sortir avant 2025. Mais ce soir, elle dormira chez elle, dans son quartier de Beit Safafa.

« Ma fille est faible, elle n’a pas mangé depuis hier », se désole Fatina Salman.

Marah Bakir, elle, ne quitte pas sa mère dans la maison familiale du quartier de Beit Hanina de Jérusalem-Est. Le débit saccadé, cette Palestinienne de 24 ans dont huit en prison enchaîne les interviews devant les caméras.

PHOTO MAHMOUD ILLEAN, ASSOCIATED PRESS

Marah Bakir et sa mère

« Je suis heureuse mais ma libération s’est faite au prix du sang des martyrs », affirme-t-elle, évoquant les 15 000 morts de Gaza, aux deux tiers des femmes et des enfants, selon le gouvernement du Hamas.

La liberté « loin des quatre murs de la prison », c’est « magnifique », dit-elle, un voile bleu fleuri sur la tête. « J’ai passé la fin de mon enfance et mon adolescence en prison, loin de mes parents et de leurs câlins, mais c’est comme ça avec un État qui nous oppresse et ne laisse aucun de nous tranquilles ».  

Son téléphone n’en finit pas de sonner : des proches, des amis qui tiennent à dire un mot au plus vite. Puis sa mère lui apporte un verre d’eau et siffle la fin de la séquence médiatique. « Désolée, laissez-la se rafraîchir un peu ».