Impossible de partir, difficile de survivre. La situation autour du plus grand hôpital de Gaza a continué à se détériorer tôt ce mercredi (heure locale). Tsahal a affirmé mener une « opération précise et ciblée contre le Hamas » dans l’hôpital al-Chifa.

Ce qu’il faut savoir

L’armée israélienne est entrée dans le plus grand hôpital de Gaza, après l’avoir pris pour cible dans les jours qui ont précédé.

La situation humanitaire est si catastrophique que les morts palestiniens sont enterrés dans des fosses communes.

L’armée israélienne a pris le contrôle du parlement à Gaza.

L’opération viserait seulement une « certaine partie de l’hôpital al-Chifa » et n’aurait pas pour but « de nuire aux patients », selon ce qu’a affirmé le porte-parole Daniel Hagari sur le réseau social X. L’armée israélienne disposerait sur place « d’équipes médicales et de personnes parlant arabe qui ont été entraînées spécifiquement pour cet environnement sensible et complexe dans le but qu’aucun tort ne soit causé aux civils utilisés par le Hamas comme boucliers humains », a-t-elle affirmé.

L’État hébreu soupçonne l’hôpital d’abriter des infrastructures stratégiques du Hamas, notamment dans des réseaux souterrains.

John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, a lui aussi accusé le Hamas d’utiliser « un centre de commandement depuis l’hôpital al-Chifa pour soutenir ses opérations militaires et détenir des otages » dans son vaste réseau de tunnels, ce qu’il a qualifié de « crime de guerre ». Des accusations que dément le mouvement islamique.

Israël s’était jusqu’alors gardé de pénétrer dans l’hôpital en raison de la présence de milliers de Palestiniens, qui s’entassent dans l’immense complexe dans des conditions désastreuses.

Or, dans une série d’affirmations qui n’ont pu être vérifiées de source indépendante, le ministère de la Santé du Hamas a affirmé que des « douzaines de soldats [israéliens] » étaient entrés dans le service d’urgences et que des chars avaient pénétré dans le complexe.

Selon le témoignage d’un homme coincé dans l’hôpital qu’a recueilli la BBC, « les soldats ont lancé une bombe fumigène qui a fait suffoquer les gens ».

À la veille de cet assaut, mardi, l’hôpital al-Chifa avait dû enterrer près de 200 morts dans une « fosse commune », selon son directeur général, Mohammed Abou Salmiya. « Il y a des corps qui jonchent les allées du complexe hospitalier, et les chambres frigorifiées des morgues ne sont plus alimentées » en électricité, a raconté M. Salmiya, précisant que parmi les corps figuraient ceux de sept bébés prématurés morts faute de courant pour les maintenir en vie.

Un journaliste collaborant avec l’AFP à l’intérieur de l’hôpital a pour sa part raconté que l’odeur des corps en décomposition était étouffante.

L’évacuation, une « tâche impossible »

Transformés en boucliers humains, les civils sont les premières victimes de la situation qui prévaut à l’hôpital al-Chifa. Avant même que Tsahal lance son offensive, Margaret Harris, porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), estimait que l’évacuation des bâtiments risquait de s’avérer une « tâche impossible ».

Mme Harris a aussi rappelé que les malades ne pouvaient pas se rendre dans les hôpitaux se trouvant dans le sud de la bande de Gaza, en dépit des appels en ce sens par Israël, car ils sont moins nombreux et « complètement débordés ».

Bref, c’est un autre désastre humanitaire qui se prépare, souligne Nadja Pollaert, directrice générale de Médecins du monde au Canada.

« L’hôpital est complètement à plat. Il n’y a plus rien qui fonctionne. Une des choses qu’ils n’ont plus, c’est des banques de sang. Vous avez tous les nouveaux blessés qui arrivent. Comment donner des soins sans électricité, sans le carburant pour faire marcher les machines ? […] L’autre enjeu, c’est tout le matériel médical dont on a besoin pour faire les opérations. Il n’y a plus rien. Ce que nos collègues là-bas nous rapportent, c’est qu’on opère sans anesthésier. »

« Ce n’est pas à une ONG de commencer à se prononcer sur comment gérer Hamas et les tunnels. Mais ce qui nous préoccupe, c’est qu’il y a vraiment une tendance qui va en augmentation, où les cibles sont les hôpitaux, les écoles, les soignants, ajoute Mme Pollaert. Effectivement, un État a le droit de se défendre, mais la question qu’il faut se poser, c’est : est-ce que les conséquences de cette défense sont proportionnelles au désastre humanitaire ? La réponse est non. »

Moins de résistance que prévu

L’armée israélienne a annoncé mardi avoir pris possession des bâtiments gouvernementaux du Hamas dans la ville de Gaza, notamment le parlement et des bâtiments du gouvernement et de la police.

Cette prise symbolique survient alors que 240 personnes sont toujours aux mains du groupe islamiste palestinien. Des proches des otages ont entamé mardi une marche de cinq jours entre Tel-Aviv et Jérusalem. Ce parcours de 63 kilomètres doit les conduire jusqu’au bureau du premier ministre Benyamin Nétanyahou pour exiger de lui « la libération immédiate de tous les otages », a expliqué le Forum des familles d’otages et de disparus.

Des milliers de personnes venues d’un peu partout aux États-Unis se sont rassemblées à Washington mardi, aussi pour réclamer la libération des otages, tout en dénonçant l’antisémitisme observé depuis le début de la crise.

PHOTO LEIGH VOGEL, THE NEW YORK TIMES

Des milliers de personnes se sont rassemblées à Washington mardi pour réclamer la libération des otages.

Dans son plus récent bilan, le gouvernement du Hamas a annoncé mardi que 11 320 Palestiniens avaient été tués dans les bombardements israéliens sur la bande de Gaza. Parmi ces morts figureraient 4650 enfants et 3145 femmes.

Israël a promis d’éradiquer le Hamas, en réponse aux terribles massacres du 7 octobre qui ont fait environ 1200 morts du côté israélien. Un objectif probablement irréalisable, selon Benjamin Toubol, doctorant en sciences politiques à l’Université Laval, même si les avancées israéliennes sont plus grandes que prévu.

« Par sa nature, un groupe comme le Hamas n’est pas éradicable, croit M. Toubol. C’est une hydre à plusieurs têtes. En revanche, je crois qu’Israël s’attendait à plus de résistance à Gaza. Il se trouve que là, on voit la différence entre les éléments de propagande du Hamas et la situation réelle sur le terrain. Il [le Hamas] est moins présent et moins effectif à Gaza Nord qu’il ne le laissait présager… »

Avec Bruno Marcotte, La Presse, l’Agence France-Presse, l’Associated Press et The Guardian

Trudeau hausse le ton, Nétanyahou réplique

Quelques heures seulement avant que Tsahal pénètre dans l’hôpital al-Chifa, le premier ministre Justin Trudeau avait haussé le ton à l’endroit de l’État hébreu, le sommant de faire preuve de « la plus grande retenue » dans la bande de Gaza. « La mort de femmes, d’enfants et de bébés doit arrêter », a-t-il déclaré en marge d’une annonce en Colombie-Britannique. Il a également condamné l’utilisation par le Hamas de « Palestiniens comme boucliers humains » et a exhorté le mouvement islamique à libérer tous ses otages. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a répliqué à son homologue canadien, affirmant sur X que « ce n’était pas Israël qui prenait délibérément pour cible des civils », mais bien le Hamas, rappelant les ravages de l’attaque surprise du 7 octobre.