Le flou entourant les intentions du gouvernement israélien quant à l’administration future de la bande de Gaza et au sort des Palestiniens qui y vivent suscite l’inquiétude de l’Égypte et de la Jordanie.

Les dirigeants des deux pays ont indiqué à plusieurs reprises depuis que l’armée israélienne a ordonné à la population de l’enclave de se déplacer vers le sud qu’il est hors de question de les forcer à « migrer ».

Le poste frontalier de Rafah, à la frontière de Gaza et de l’Égypte, est demeuré largement fermé depuis que Tel-Aviv a lancé une vague de bombardements en représailles à l’attaque du Hamas du 7 octobre et ne doit normalement ouvrir que pour permettre l’acheminement d’aide humanitaire.

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Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a prévenu mercredi que tout exode forcé des Palestiniens de Gaza vers son pays risquerait de devenir permanent et viserait « à éliminer la cause palestinienne ».

Le roi de Jordanie Abdallah II, qui abrite sur son territoire une importante communauté palestinienne, a ajouté que son pays et l’Égypte n’accepteraient pas de nouveaux réfugiés provenant de Gaza ou de Cisjordanie dans le contexte actuel.

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Le roi de Jordanie, Abdallah II

Craintes « raisonnables »

H. A. Hellyer, analyste du Carnegie Endowment for International Peace, note que les craintes exprimées par les deux dirigeants sont « raisonnables » puisque des commentaires émanant de certains ministres israéliens après l’attaque du Hamas suggèrent que le déplacement forcé de Palestiniens « n’est pas vu négativement ».

L’un d’eux, note M. Hellyer, a sermonné un autre élu de la Knesset en relevant qu’Israël aurait dû déplacer vers les pays voisins l’ensemble de la population palestinienne en 1948. Des centaines de milliers de Palestiniens avaient dû s’exiler à l’issue du conflit.

Des députés israéliens ont souligné en ligne la nécessité d’une nouvelle « Nakba » en reprenant le mot arabe signifiant « catastrophe » que les Palestiniens utilisent pour désigner cet évènement.

Riccardo Fabiani, qui est responsable de l’Afrique du Nord pour l’International Crisis Group, relève que l’ambiguïté d’Israël sur ses projets à Gaza « favorise l’émergence de toutes sortes de scénarios » potentiels.

Au-delà de l’offensive militaire entreprise pour « détruire » le Hamas, « personne ne sait vraiment » ce que le gouvernement israélien veut faire, dit-il.

En plus d’éviter de soutenir indirectement un exode potentiellement « irréversible » de Palestiniens, l’Égypte veut empêcher l’arrivée dans le Sinaï d’une population importante susceptible de déstabiliser la région, particulièrement si des militants du Hamas sont du nombre.

Cette zone désertique a connu depuis une dizaine d’années une insurrection islamiste que Le Caire a récemment réussi à étouffer.

« Les Égyptiens ne sont pas nos ennemis »

Le lancement d’attaques contre Israël à partir du sol égyptien pourrait entraîner par ailleurs des représailles et serait susceptible de compromettre le traité de paix liant les deux pays, note M. Fabiani.

Kobi Michael, analyste rattaché à l’Institute for National Security Studies de Tel-Aviv, estime qu’Israël n’a aucune intention de forcer les Palestiniens de Gaza à migrer vers l’Égypte.

« Les Égyptiens ne sont pas nos ennemis, ce sont nos alliés. Nous n’avons aucune envie de nous battre avec eux ou de leur compliquer la vie », note M. Michael, qui a fait partie plusieurs années des services de renseignement israéliens.

L’objectif de l’opération militaire annoncée dans la bande de Gaza sera, dit-il, d’éliminer les militants du Hamas et de détruire les infrastructures de l’organisation, notamment un vaste réseau de tunnels surtout concentrés dans le nord du territoire.

Le centre et le sud du territoire seront ensuite pris pour cibles, ce qui obligera, selon lui, la population palestinienne à bouger « d’une partie à l’autre ».

L’ordre donné à la population de se déplacer vers le sud a été dénoncé par plusieurs organisations humanitaires comme étant illégal, mais ce type d’action demeure nécessaire, selon M. Michael, pour permettre de « détruire définitivement » le Hamas et empêcher sa renaissance rapide sous une autre forme.

Il estime que l’opération militaire dans son ensemble va durer « plusieurs mois, peut-être plus d’une année », et que l’armée israélienne va se réserver ensuite le droit de pénétrer dans le territoire palestinien au besoin.

M. Michael pense que la gestion de la bande de Gaza pourrait à terme être assumée par l’Autorité palestinienne, qui chapeaute la Cisjordanie.

Son président, Mahmoud Abbas, est cependant trop faible politiquement à l’heure actuelle pour assumer une telle tâche, juge l’analyste, qui évoque la possibilité qu’une coalition de pays arabes en paix avec Israël prenne le territoire en charge une fois l’opération militaire terminée.

Le ministre de la Défense israélienne, Yoav Gallant, a indiqué cette semaine que son pays n’assumera aucune responsabilité relativement à la vie à Gaza après avoir créé une « nouvelle réalité sécuritaire » pour Israël et la population vivant à proximité de l’enclave. Il n’a pas fourni de détails à ce sujet.