(Istanbul) La Turquie a continué mercredi de viser des positions de combattants kurdes dans le nord de la Syrie se disant « plus déterminée que jamais » à protéger sa frontière méridionale.

« Notre détermination à protéger toutes nos frontières sud […] par une zone de sécurité est plus forte aujourd’hui que jamais », a de nouveau prévenu mercredi le président Recep Tayyip Erdogan qui a réitéré son intention d’ordonner, « quand le moment semblera opportun », une offensive terrestre.

L’artillerie turque a notamment touché mercredi, selon des sources syriennes indépendantes et kurdes sur place, les forces kurdes chargées de garder le camp d’Al-Hol qui abrite 50 000 proches de djihadistes du groupe État islamique et la prison où sont détenus des membres de l’EI.

PHOTO ALI HASHISHO, REUTERS

Le camp d’Al-Hol abrite 50 000 proches de djihadistes du groupe État islamique et la prison où sont détenus des membres de l’EI.

La Turquie a lancé dimanche l’opération Griffe Épée, multipliant les raids aériens et les tirs d’artillerie contre des positions du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et des Unités de protection du peuple (YPG).

Le gouvernement turc accuse ces deux mouvements – qui ont démenti – d’avoir commandité l’attentat qui a fait six morts et 81 blessés le 13 novembre à Istanbul.

« La Turquie a les moyens d’aller chercher et de punir les terroristes impliqués dans des attaques contre [elle] à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières », a affirmé M. Erdogan devant le groupe de son parti AKP à l’Assemblée.

D’ici là, a-t-il mis en garde, « nous allons poursuivre nos opérations aériennes sans interruption et nous entrerons sur le terrain des terroristes au moment qui nous semblera opportun ».

Kobané en ligne de mire

Le chef de l’État a précisé ses objectifs prioritaires, citant les localités syriennes de Tal Rifaat, Manbij et Ayn al-Arab (Kobané en kurde), en vue d’établir une zone de sécurité large de trente kilomètres au sud de sa frontière.

La ville emblématique de Kobané, bastion kurde des YPG repris en 2015 aux djihadistes du groupe État islamique (EI) avec le soutien occidental, a été visée par l’artillerie turque.

Mercredi, les chefs d’état-major turc et américain se sont entretenus au sujet des « développements en cours », selon l’armée turque qui n’a pas donné d’autre détail.

Dans un courriel adressé à l’AFP, le commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom) a affirmé qu’une frappe turque mardi contre une base conjointe des forces kurdes et de la coalition internationale antidjihadiste dans le nord-est de la Syrie a mis les forces américaines « en danger ».

Le Centcom avait indiqué le contraire mardi.

Après les États-Unis et la Russie qui ont appelé la Turquie à faire preuve de « retenue », la France a dit mercredi « suivre avec inquiétude l’escalade en cours », estimant dans un communiqué qu’une offensive terrestre « menacerait la stabilité de la région et la sécurité de ses habitants ».  

Washington a encore appelé mercredi soir à « une désescalade immédiate dans le nord de la Syrie ». « Nous sommes profondément préoccupés par les récentes actions militaires qui déstabilisent la région, menacent notre objectif commun de lutte contre l’État islamique et mettent en danger les civils et le personnel américain », a déclaré Ned Price, porte-parole du département d’État américain.

« Les raids aériens devraient se poursuivre un moment », avant toute opération terrestre, avait auparavant indiqué à l’AFP un haut responsable turc. « Nos unités militaires sont en alerte », a ajouté cette source, sous couvert d’anonymat, rappelant que des troupes turques sont présentes dans le Nord syrien « depuis trois ans ».

Des responsables kurdes et l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) ont fait état de frappes de drones mercredi sur de nombreux points de la province de Hassaké (nord-est de la Syrie), dont une raffinerie de gaz et une station de pompage de pétrole.

Une zone abritant une présence russe a été visée par une attaque de drone qui a blessé un soldat russe et tué un combattant kurde, a indiqué à l’AFP un responsable des forces kurdes.  

Après cinq frappes contre les gardes kurdes du camp d’Al-Hol, le porte-parole des Forces démocratiques syriennes (FDS, dominées par les combattants kurdes) Farhad Chami a prévenu que « certaines familles de l’EI pourraient en profiter pour fuir le camp » en profitant du chaos.

Plus de 10 000 étrangers originaires d’une soixantaine de pays, dont des Français et d’autres Européens, figurent parmi les résidents de ce camp.

Les environs de la prison de Jerkin à Qamichli, où sont détenus des djihadistes de l’EI ont été également touchés.

Frappes punitives

Selon le ministre turc de la Défense Hulusi Akar, qui assure que « la seule cible des forces armées turques est les terroristes », les frappes « punitives » conduites par l’aviation et l’artillerie ont visé près de 500 cibles depuis dimanche.

Ankara menace depuis mai de s’en prendre aux positions du PKK et des YPG et a réaffirmé avec insistance depuis lundi son intention de poursuivre ses opérations par voie terrestre.

Par ailleurs, Recep Tayyip Erdogan a réitéré mercredi ses accusations à l’encontre des pays qui leur ont apporté leur soutien, visant implicitement les États-Unis.

 « Ces puissances qui nous ont garanti qu’il n’y aurait aucune menace provenant de ces régions sous leur contrôle n’ont pas su tenir parole », a-t-il dénoncé. « Par conséquent, nous avons le droit de gérer nous-mêmes nos affaires » en Syrie.

Le porte-parole des YPG Nouri Mahmoud a en revanche déploré les « déclarations timides des pays garants et de la coalition internationale » qui les ont soutenus.

Dans un communiqué commun publié mercredi après une réunion tripartite du processus d’Astana sur la Syrie, réunissant la Russie, la Turquie et l’Iran, les parties « ont souligné leur ferme soutien à l’intégrité territoriale de la Syrie ».