Le chef suprême des talibans vient de rappeler à l’ordre les juges afghans en soulignant qu’il est « obligatoire » d’appliquer pleinement les sanctions prévues par la charia, faisant craindre un nouveau durcissement du régime.

Un porte-parole du mollah Hibatullah Akhundzada, qui dirige le pays par décrets à partir de la ville de Kandahar, a expressément évoqué dimanche la nécessité de porter attention aux cas de vol, d’enlèvement et d’adultère.

Selon l’Agence France-Presse, qui a signalé l’intervention, le mot d’ordre vise en fait toute une série de crimes jugés graves pour lesquels des peines sévères, incluant l’ablation d’une main, la flagellation ou encore la lapidation, sont prévues.

Vanda Felbab-Brown, spécialiste de l’Afghanistan rattachée à la Brookings Institution, note que le leader taliban veut s’assurer que les « peines les plus sévères possibles » sont appliquées sans égard aux conséquences pour l’image du pays.

« Hibatullah Akhundzada se moque complètement de ce que pensent les pays occidentaux », note l’analyste, qui n’exclut pas la reprise possible d’exécutions publiques régulières comme celles qui avaient fait connaître le régime taliban à l’étranger lors de son premier passage au pouvoir, de 1996 à 2001.

Je ne sais pas exactement ce qu’il a en tête sur ce plan, mais il est clair qu’il adopte une approche profondément doctrinaire.

Vanda Felbab-Brown, spécialiste de l’Afghanistan rattachée à la Brookings Institution

Un analyste établi à Kaboul qui a demandé de ne pas être identifié nommément a indiqué lundi que l’intervention d’Hibatullah Akhundzada n’était pas nécessairement annonciatrice d’un virage encore plus répressif.

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Le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada

Il pourrait s’agir d’un simple rappel de la volonté exprimée du régime d’imposer la charia, a-t-il noté, la même qu’ils réaffirment depuis une trentaine d’années.

Le précédent régime taliban « était déterminé à agir et à le faire de façon publique » alors que l’application de la charia se fait généralement de façon plus discrète sous le nouveau régime, a relevé l’analyste.

La mise en garde judiciaire d’Hibatullah Akhundzada survient toutefois alors que ses dirigeants multiplient les signes de durcissement, note Mme Felbab-Brown.

Retour de la répression

Après leur retour au pouvoir à l’été 2021, il était possible d’espérer, dit-elle, que les talibans mettraient sur pied un gouvernement moins répressif que le précédent, en évitant notamment de concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’un seul individu.

La montée en puissance d’Hibatullah Akhundzada marque la fin définitive de ce scénario et la mise à l’écart de la volonté de talibans moins extrémistes qui plaidaient notamment pour une plus grande tolérance relativement à la scolarisation des filles.

Après avoir assuré qu’elles pourraient continuer leurs études secondaires, les talibans ont évoqué en mars un « enjeu technique » pour bloquer la reprise des cours et ne cessent depuis ce temps de reporter leur retour en classe.

Ils ont aussi mis en place des règles contraignantes au niveau universitaire, imposant le port de la burqa et la séparation des genres.

Dans un rapport paru en juillet, Amnistie internationale a relevé par ailleurs que de sévères restrictions de mouvement avaient été imposées aux femmes, les obligeant à rester à domicile « sauf en cas de nécessité » et à se déplacer publiquement avec des chaperons, le visage caché.

L’organisation de défense des droits de la personne a également souligné que nombre de femmes ayant contrevenu à ces ordres avaient été arrêtées et torturées par les forces de sécurité du pays.

Mme Felbab-Brown note qu’un nouveau tour de vis judiciaire entraînant l’application de peines sévères risque d’aggraver l’image déjà compromise du régime et de compliquer l’obtention du soutien humanitaire requis par une part importante de la population.

Les États-Unis et l’Europe, qui fournissent la majeure partie de l’aide actuelle, pourraient être amenés à la restreindre, avec des conséquences « potentiellement dramatiques » pour la population.

Avec l’approche de l’hiver, nombre d’Afghans se retrouvent dans une position précaire, frappés de plein fouet par l’insécurité alimentaire, souligne Mme Felbab-Brown.

« Si l’aide est coupée, le régime va survivre et ce sont les gens ordinaires qui vont souffrir », prévient-elle.