Les conditions de vie au camp d’Al-Hol, en Syrie, continuent de se détériorer quatre ans après l’implosion du groupe armé État islamique et frappent de plein fouet les dizaines de milliers de personnes qui y sont détenues, incluant une majorité d’enfants, s’alarme Médecins sans frontières (MSF).

La plupart des États comptant des ressortissants sur place rechignent à les rapatrier et préfèrent apporter une « réponse sécuritaire » à la situation en renforçant les moyens des forces kurdes chargées de chapeauter l’établissement, déplore l’organisation dans un nouveau rapport paru lundi.

Les rapatriements « n’arrivent pas ou arrivent au compte-goutte alors que les conditions de vie sont vraiment dangereuses », déplore en entrevue Sophie Désoulières, responsable des affaires humanitaires chez MSF.

À l’origine, le camp d’Al-Hol accueillait des civils fuyant les guerres en Syrie et en Irak. Sa mission s’est progressivement transformée après que des milliers de familles provenant des zones contrôlées par le groupe État islamique y ont été transférées.

Selon MSF, le camp est aujourd’hui une « prison à ciel ouvert » regroupant 55 000 personnes qui sont privées « arbitrairement » de leurs droits, faute de processus permettant d’évaluer leur niveau de proximité réelle avec l’organisation terroriste.

Ces personnes sont prises entre des groupes armés avec des liens politiques et idéologiques « souvent opaques » qui font planer une menace de violence extrême et des forces de sécurité déterminées à utiliser des méthodes de plus en plus musclées.

En 2021, 85 décès survenus dans le camp, représentant 40 % du total, étaient d’origine criminelle. La plupart des victimes étaient d’origine irakienne.

Une part non négligeable des meurtres est liée à des tentatives d’extorsion. D’autres meurtres sont attribuables à des dérogations aux normes sociales préconisées par le groupe armé État islamique. Une part non négligeable semble par ailleurs arbitraire, alimentant « la peur et le sentiment d’impuissance » de la population.

« Il n’y a pas de sécurité ici, nous nous sentons en danger. J’ai trois autres garçons et je suis toujours aussi inquiète parce qu’on ne sait pas qui tue et quand ça risque d’arriver », a confié à MSF une femme dont l’un des fils a été assassiné il y a quelques années.

Les personnes interrogées par l’organisation humanitaire relèvent que les forces de sécurité présentes dans le camp n’interviennent pas lorsqu’un crime est signalé ou le font trop tard.

Le rapport relève que les responsables kurdes usent par ailleurs souvent de force excessive et procèdent à des arrestations arbitraires. On rapporte notamment qu’un enfant a été tué et trois autres blessés en février lors d’une opération survenue dans l’annexe du camp, où sont concentrés les femmes et les enfants d’origine étrangère.

MSF affirme par ailleurs que des adolescents sont régulièrement séparés de leurs parents et emportés sans qu’aucune indication claire ne soit donnée sur ce qui va leur arriver.

PHOTO DELIL SOULEIMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Enfant blessé dans le camp d’Al-Hol en mars 2021

L’approche répressive suivie dans le camp pose aussi des problèmes sur le plan sanitaire et peut avoir des effets dramatiques sur les enfants.

Mme Désoulières note que des responsables du camp sans connaissances médicales refusent le transfert en temps opportun de patients en attente de soins plus poussés vers des hôpitaux de la région.

Un garçon de 7 ans qui avait été grièvement brûlé a été pris en charge par une clinique de MSF à Al-Hol en février, mais n’a pu être transféré que deux jours plus tard dans un hôpital, faute d’approbation. Il est mort en route, sous garde armée, sans sa mère, qui n’a pas été autorisée à sortir.

Ces enfants ne peuvent être tenus responsables d’aucune façon de l’orientation idéologique, réelle ou imaginée, de leurs parents et ne devraient pas avoir à subir une détention « illégale », souligne Mme Désoulières.

Elle déplore le manque de « volonté politique » des pays concernés, qui évoquent souvent des considérations sécuritaires pour justifier leurs réserves face aux rapatriements demandés.

Le Canada figure parmi les États comptant plusieurs ressortissants dans les camps sous contrôle kurde en Syrie, mais ne montre aucun empressement à procéder à des rapatriements, même si quelques mères et leurs enfants ont pu en profiter récemment.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a assuré il y a quelques semaines qu’il était « particulièrement préoccupé » par le sort des enfants canadiens détenus dans la région.