(Téhéran) Au marché aux livres de Téhéran, tout le monde est au courant samedi de l’agression subie la veille par l’écrivain britannique Salman Rushdie aux États-Unis, mais seuls ceux soutenant cette attaque s’expriment.

L’assaillant plaide non coupable

L’assaillant de Salman Rushdie a plaidé non coupable à des accusations de tentative de meurtre au deuxième degré et d’agression armée, samedi, au palais de justice du comté de Chautauqua, dans l’État de New York. « Il s’agissait d’une attaque ciblée, non provoquée et planifiée contre M. Rushdie », a déclaré le procureur Jason Schmidt. La veille, Hadi Matar, un homme de 24 ans d’origine libanaise, a poignardé à 10 reprises l’auteur des Versets sataniques, qui se trouvait sur la scène de l’institution Chautauqua, avant une conférence littéraire.

Rushdie demeurait hospitalisé samedi, mais il a été débranché de son respirateur. Il aurait même parlé et fait des blagues, selon un message publié par l’auteur Aatish Taseer et confirmé par l’agent de l’écrivain, Andrew Wylie.

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L'accusé Hadi Matar à son arrivée devant le tribunal

Les motifs de l’agresseur sont toujours inconnus. Selon le réseau NBC et le New York Post, Hadi Matar affichait en ligne son soutien à l’Iran et à l’ayatollah Rouhollah Khomeyni, à l’origine de la fatwa décrétée en 1989 contre le célèbre écrivain.

Vague d’indignation

L’agression contre Salman Rushdie, symbole malgré lui de la liberté d’expression, a provoqué une onde de choc en Occident. Le président des États-Unis, Joe Biden, a condamné « l’attaque brutale », saluant le refus de Rushdie « d’être intimidé ou réduit au silence. » Âgé de 75 ans, l’auteur britannique d’origine indienne vivait à New York depuis plus de 20 ans. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a dénoncé une « attaque lâche » et un « affront à la liberté d’expression ». « Son combat est le nôtre, universel », a lancé sur Twitter le président français Emmanuel Macron, tandis que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est déclaré « horrifié ».

« L’œuvre [de Salman Rushdie] et sa vie entière nous rappellent ce qu’est en réalité la vie d’un écrivain public », a réagi l’écrivain canadien John Ralston Saul, qui connaît le célèbre auteur depuis les années 1990, alors que celui-ci vivait dans la clandestinité et sous protection policière.

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John Ralston Saul, en 2006

Ce serait le pire moment possible pour céder ou montrer que nous devons faire plus attention à nos mots. Nous ne sommes pas vraiment des écrivains si nous cédons à ce genre de menace.

John Ralston Saul

Des éloges en Iran

En Iran, où la fatwa contre Salman Rushdie n’a jamais été levée, l’assaillant de l’écrivain s’est attiré des éloges. « Bravo à cet homme courageux et conscient de son devoir qui a attaqué l’apostat et le vicieux Salman Rushdie », a écrit le principal quotidien ultraconservateur Kayhan. « J’étais très heureux d’apprendre la nouvelle. Quel que soit l’auteur, je lui baise la main », a lancé un homme à un journaliste de l’Agence France-Presse, à Téhéran.

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Kiosque à journaux de Téhéran, samedi matin

Certains citoyens ont tout de même condamné l’affront à la liberté d’expression, a rapporté The Guardian. « Dans ma communauté, la majorité des gens ne sont pas heureux de ce qui lui est arrivé. Je ne suis pas d’accord avec ce qui s’est passé », a confié un Kurde de 29 ans au quotidien anglais. En Irak, le média pro-iranien Sabreen a titré sa une par : « La paix soit avec vous. La vengeance de Dieu. » Et au Pakistan, le parti Tehreek-e-Labbaik islamiste radical a jugé que Rushdie « méritait d’être tué ».

Les ventes des Versets sataniques à la hausse

Les ventes des Versets sataniques de Salman Rushdie, roman qui lui vaut d’être menacé de mort depuis 30 ans, étaient en hausse samedi. Trois éditions de l’ouvrage étaient en tête des ventes de livres d’Amazon. Et le tout premier best-seller de l’écrivain, Les enfants de minuit, occupait la quatrième place. Dans l’emblématique librairie new-yorkaise Strand Bookstore, plusieurs ouvrages ont été vendus sur place, sans compter les ventes en ligne. « Des gens sont venus et cherchaient n’importe lequel de ses écrits, ils voulaient savoir ce que nous avions », a déclaré à l’AFP Katie Silvernail, cheffe de rayon dans ce magasin.

Avec l’Agence France-Presse, The Guardian et The New York Times