Un ex-collaborateur de Jamal Khashoggi a été appréhendé et condamné à une lourde peine de prison aux Émirats arabes unis alors même que le président américain Joe Biden se trouvait de passage dans la région pour tenter d’atténuer les tensions diplomatiques suscitées par l’assassinat du journaliste saoudien.

Les ennuis judiciaires de l’avocat Asim Ghafoor sont dénoncés comme un « acte de vengeance politique » par Democracy for the Arab World Now (DAWN), dont il est l’un des administrateurs.

L’organisation de défense des droits de la personne, fondée par Jamal Khashoggi avant son assassinat en 2018 par un commando venu de Riyad, accuse le régime émirati, proche de l’Arabie saoudite, d’avoir fabriqué un « prétexte légal » pour s’en prendre à M. Ghafoor.

Ce dernier a été appréhendé à l’aéroport de Dubaï jeudi dernier alors qu’il faisait une escale en vue de se rendre à Istanbul, en Turquie, pour un mariage.

Une agence de presse gouvernementale a indiqué samedi qu’il avait été condamné à trois ans de prison à l’issue d’une procédure menée in absentia pour blanchiment d’argent et évasion fiscale.

L’avocat de M. Ghafoor, Faisal Gill, a souligné à l’Associated Press que son client n’avait aucune idée que des procédures avaient été lancées contre lui aux Émirats arabes unis et nie toute malversation.

M. Gill a par ailleurs précisé qu’un juge avait refusé, lundi, que le ressortissant américain soit remis en liberté en attendant que sa cause soit entendue en appel.

Les Émirats arabes unis ont affirmé que son arrestation découlait d’une action concertée avec les États-Unis pour « combattre les crimes transnationaux », mais Washington a nié lundi toute demande en ce sens.

Un porte-parole du département d’État avait indiqué samedi que la situation de l’avocat avait été abordée avec de hauts responsables émiratis et que des pressions avaient été exercées pour garantir qu’il puisse avoir droit à des procédures « équitables ».

Arrestation synchronisée ?

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le petit pays est soumis à une « dictature très brutale » et que les arrestations de militants y sont fréquentes.

Il est possible, dit-il, que celle de M. Ghafoor ait été synchronisée avec l’arrivée en Arabie saoudite de Joe Biden pour envoyer le message que Riyad et Abou Dhabi ne se laisseront pas intimider par les critiques des États-Unis en matière de droits de la personne.

« Il est aussi possible que ce soit une simple coïncidence », tempère le chercheur, qui dresse un « bilan mitigé » du passage du chef d’État américain dans la région.

PHOTO MANDEL NGAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Joe Biden et Mohammed ben Salmane, samedi

Plusieurs médias américains ont vivement critiqué la rencontre de Joe Biden samedi avec le prince hériter Mohammed ben Salmane, qui a été identifié par les services de renseignements américains comme l’instigateur de l’assassinat de Jamal Khashoggi.

Le Washington Post, pour lequel travaillait le journaliste, a notamment parlé d’une honteuse « trahison ».

Promesse non tenue

Joe Biden avait promis de faire de l’Arabie saoudite un « paria » alors qu’il était en campagne en 2016, mais cette promesse visait d’abord à courtiser l’aile gauche du Parti démocrate et avait peu de chances de se concrétiser pleinement une fois au pouvoir en raison de l’importance des liens entre les deux pays, note M. Juneau.

On peut déplorer, dit-il, que le président américain soit revenu sur sa promesse, mais « ce n’était pas réaliste » pour les États-Unis de maintenir la ligne dure parce que Riyad est un partenaire incontournable, non seulement pour le pétrole, mais aussi pour la sécurité régionale et le contre-terrorisme.

PHOTO MOHAMMED AL-SHAIKH, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été tué en 2018.

Il ne faut évidemment pas s’attendre, selon M. Juneau, à ce que Mohammed ben Salmane revoie radicalement ses façons de faire à la lumière de l’affaire Khashoggi, même si certaines décisions du régime en matière de politique étrangère, incluant l’adoption d’une trêve dans la guerre au Yémen, suggèrent qu’il entend modérer ses élans.

« Est-ce qu’il va cesser d’être un autocrate ? Bien évidemment que non », dit M. Juneau.

Fausse route ?

Abdullah Alaoudh, qui est directeur de recherche de DAWN pour la région, estime que Joe Biden a fait complètement fausse route en acceptant de rencontrer le prince héritier saoudien.

Riyad, dit-il, n’a rien promis en matière de production pétrolière alors que la flambée du prix de l’essence complique la situation des démocrates à l’approche des élections de mi-mandat aux États-Unis.

Il y a peu de chances, par ailleurs, que la rencontre amène l’Arabie saoudite à tourner durablement le dos à la Chine et à la Russie, qui courtisent le régime.

« Ce n’est pas le fait d’accorder l’impunité à ben Salmane qui va l’amener à revoir ses orientations », relève le représentant de DAWN.

« Le président aurait pu exiger au moins des concessions en matière de droits de la personne, mais il n’a rien eu non plus. Sur ce plan, je pense que la situation va empirer », conclut-il.