(Téhéran) L’Iran a annoncé vendredi avoir commencé à produire de l’uranium enrichi à 60 % dans une nouvelle entorse à ses engagements pris devant la communauté internationale, qui s’inquiète de ses ambitions nucléaires.
« Maintenant, nous obtenons 9 grammes par heure » d’uranium enrichi à 60 % en isotope 235 (plus radioactif que l’uranium naturel) à Natanz, dans le centre du pays, a déclaré en début d’après-midi le président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA), Ali-Akbar Saléhi.
Si ce rythme était maintenu constant et ininterrompu, il faudrait à l’Iran 322 jours pour produire les quelque 70 kg d’uranium à 60 % qui, à l’issue d’un nouveau cycle d’enrichissement (dont la durée dépendrait de la puissance des machines utilisées), lui permettraient d’obtenir la masse critique de 25 kg d’U-235 à 90 % nécessaire à la fabrication d’une (et une seule) bombe nucléaire, selon les critères de non-prolifération de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Mais il faudrait pour cela que le pays dispose d’une quantité suffisante d’uranium enrichi à 20 %. Or, selon le dernier rapport public de l’AIEA sur le sujet, son stock d’uranium à 20 % était, à la mi-février, de 17,6 kg.
Après une explosion dimanche dans son usine de Natanz, qu’elle a imputée à son ennemi juré Israël, la République islamique a annoncé mardi qu’elle allait enrichir ce minerai à hauteur de 60 %, bien au-delà des 20 % qu’elle pratique depuis janvier et du seuil maximal de 3,67 % autorisé par l’accord international sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015.
« Provocation » ou « avantage » ?
L’annonce du lancement effectif de la production d’uranium à 60 % en U235 survient alors que des discussions ont lieu à Vienne, sous l’égide de l’Union européenne, dans le but de sauver ce pacte, sabordé par la décision des États-Unis de s’en retirer unilatéralement en 2018, sous la présidence de Donald Trump.
Le président américain, Joe Biden, pour qui la politique de « pression maximale » contre l’Iran menée par son prédécesseur est un échec monumental, dit vouloir réintégrer l’accord, mais à des conditions jugées inacceptables par Téhéran.
Qualifiée de véritable « provocation » par plusieurs analystes, l’annonce par l’Iran de sa décision de produire de l’uranium enrichi jusqu’à hauteur de 60 % — seuil inédit pour le pays — est le dernier et le plus sensationnel des reniements iraniens par rapport aux engagements pris par la République islamique à Vienne.
D’autres analystes estiment au contraire, à l’image de Henry Rome, du cabinet de conseil Eurasia Group, que l’Iran cherche par cette décision à obtenir « un avantage dans la négociation, pas la bombe ».
En riposte au retrait des États-Unis de l’accord, et au rétablissement de sanctions américaines contre l’Iran ayant suivi, la République islamique s’est progressivement affranchie à partir de 2019 de la plupart de ses engagements clef.
Une nouvelle session des discussions de Vienne, qui visent à faire revenir Washington dans l’accord et à annuler les sanctions imposées par les États-Unis à l’Iran, a eu lieu jeudi.
« Impression positive »
Elle a laissé « une impression générale positive », a indiqué l’ambassadeur russe auprès de l’AIEA, Mikhaïl Oulianov, selon lequel « le travail » doit se poursuivre vendredi.
« Le processus (de discussions) se poursuit », a déclaré vendredi Peter Stano, porte-parole du chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell. « La décision de l’Iran est très inquiétante », a ajouté M. Stano, « il n’y a pas de justification ».
Néanmoins, a jugé vendredi un haut responsable de l’Union européenne sous couvert d’anonymat, l’explosion de Natanz et la décision iranienne d’enrichir à 60 % « compliquent un peu la négociation, mais lui donnent aussi […] plus d’importance », et nous sommes « plus proches (d’un accord) que la semaine dernière ».
Décideur ultime sur les choix de son pays en matière de politique nucléaire, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a approuvé les négociations de Vienne, mais a prévenu mercredi qu’il n’autoriserait pas qu’elles traînent « en longueur ».
Mercredi, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, les trois pays européens parties (avec la Russie, la Chine et l’Iran) à l’accord de Vienne avaient « pris note avec une grande préoccupation » de l’annonce iranienne sur l’enrichissement à 60 %.
Le président iranien, Hassan Rohani, a jugé ces « inquiétudes » sans fondement.
« Aujourd’hui même, nous pouvons enrichir à 90 % si nous le voulons, a-t-il dit jeudi, mais nous l’avons déclaré dès le premier jour et nous tenons parole : nos activités nucléaires sont pacifiques, nous ne cherchons pas à obtenir la bombe atomique. »