(Genève) Les Nations unies ont accusé mardi les talibans d’être, en dépit de leur promesse d’amnistie générale, responsables d’au moins 72 exécutions extrajudiciaires depuis le mois d’août, ce que les nouveaux maîtres de Kaboul ont nié en bloc.

Entre août et novembre, l’ONU a reçu « des allégations crédibles faisant état de plus de 100 exécutions d’anciens membres des forces de sécurité nationales afghanes et d’autres personnes associées à l’ancien gouvernement, dont 72 au moins ont été attribués aux talibans », a déclaré la Haut-Commissaire adjointe aux droits de l’homme Nada Al-Nashif, devant le Conseil des droits de l’homme à Genève (Suisse).

« Je suis alarmée par les informations persistantes faisant état d’exécutions extrajudiciaires dans tout le pays, malgré l’amnistie générale annoncée par les talibans après le 15 août », a-t-elle ajouté.

« Lorsque les forces talibanes ont pris le contrôle des districts un peu partout en Afghanistan en juillet et en août 2021, des talibans, au cours d’attaques menées en représailles, ont torturé et tué des membres de minorités ethniques et religieuses, d’anciens soldats des Forces nationales afghanes de défense et de sécurité ainsi que des personnes perçues comme favorables au gouvernement », a dénoncé pour sa part Amnistie internationale à l’occasion de la publication mardi d’un rapport sur les crimes de guerre dans le pays.

« Dans la seule province de Nangarhar », a relevé Mme Al-Nashif, « au moins 50 exécutions extrajudiciaires de personnes soupçonnées d’être membres de l’EI-K (la branche afghane du groupe djihadiste État islamique) semblent avoir été commises ».

Les États-Unis et leurs alliés occidentaux se sont déjà montrés « préoccupés » par ces exécutions, révélées par des organisations de défense des droits de la personne, et ont demandé l’ouverture rapide d’enquêtes.

Après les déclarations de Mme Al-Nashif, le gouvernement taliban a de nouveau rejeté ces accusations, qui circulent depuis des mois dans le pays, mais restent très difficiles à prouver.

« Faim et misère »

« Les rumeurs sans fondement ne doivent pas être prises pour argent comptant », a réagi mardi après-midi auprès de l’AFP le porte-parole du ministère taliban des Affaires étrangères Abdul Qahar Balkhi.

Les talibans « respectent pleinement le décret d’amnistie et les employés des gouvernements précédents ne sont pas persécutés », a-t-il ajouté, assurant qu’il y aurait des enquêtes sur chaque cas suspect et que tout taliban coupable de violer l’amnistie serait « jugé et puni ».

Si d’anciens membres des forces de sécurité ont été tués ces derniers mois, c’est à cause de rivalités ou d’inimitiés personnelles, soulignent régulièrement les talibans.

Mme Al-Nashif a par ailleurs alerté sur la souffrance du peuple afghan confronté, selon l’ONU, à l’une des pires catastrophes humanitaires au monde.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU a aidé 15 millions de personnes jusqu’à présent en 2021 dans le pays, dont 7 millions rien qu’en novembre – contre 4 millions en septembre.

Il a annoncé mardi qu’il allait accélérer ses opérations pour aider « plus de 23 millions de personnes confrontées à la faim sévère » en Afghanistan, en proie aux effets combinés de la sécheresse causée par le changement climatique et la paralysie économique.

L’économie du pays est au point mort depuis l’arrivée au pouvoir des fondamentalistes, qui a amené la communauté internationale à geler l’aide sur laquelle elle reposait très largement.

« Questions sans réponse »

Les talibans sont revenus mi-août au pouvoir, presque vingt ans après en avoir été chassés par les forces américaines pour les punir d’avoir hébergé des leaders d’Al-Qaïda, auteurs des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Leur premier règne (1996-2001) leur avait valu d’être mis au ban de la communauté internationale, car ils réprimaient violemment toute opposition et niaient les droits fondamentaux des femmes.

Les dirigeants talibans d’aujourd’hui, en quête de soutiens financiers et de respectabilité internationale, ont promis que leur régime serait différent.

Le 3 décembre, leur chef suprême a demandé au gouvernement, dans un décret, de « prendre des mesures sérieuses pour faire respecter les droits des femmes » en Afghanistan, notamment contre les mariages forcés, sans mentionner le droit de travailler ni d’étudier.

Mme Al-Nashif a qualifié mardi ce décret de « signal important », mais qui « laisse de nombreuses questions sans réponse ».

« Par exemple », a-t-elle dit, « il n’indique pas clairement un âge minimum pour le mariage et ne fait pas référence aux droits plus larges des femmes et des filles à l’éducation, au travail, à la liberté de mouvement ou de participation à la vie publique ».