(Bagdad) Participation timide, soucis techniques : les Irakiens ont voté dimanche lors de législatives anticipées qui ont soulevé peu d’enthousiasme parmi les électeurs, dans un pays riche en pétrole, mais confronté à une corruption endémique et une pléthore de factions armées.

Le vote électronique s’est accompagné de pannes de machines – rapidement réparées selon les autorités – tandis que les empreintes digitales de nombreux électeurs n’ont pu être reconnues et les cartes électorales n’ont pas toujours fonctionné, ont constaté des correspondants de l’AFP.

Les bureaux de vote ont fermé à 18 h (15 h GMT). Dans la foulée, Jalil Adnane, le chef de la Commission électorale a indiqué que les résultats préliminaires seraient connus « dans les 24 heures », soit avant lundi 18 h (15 h GMT), et que le très attendu taux de participation serait publié dans la soirée de dimanche. Dans l’après-midi, ce taux dépassait les 30 %, selon lui.

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Des policiers assuraient la sécurité devant un bureau de vote de Mossoul.

Pour la cheffe de la mission d’observation de l’Union européenne (UE), Viola von Cramon, ce peu d’entrain à aller voter « est un signal politique clair, et nous pouvons seulement espérer qu’il sera entendu par l’élite politique ».

L’UE et l’ONU avaient envoyé des dizaines d’observateurs pour superviser le processus.

En 2018, la participation s’était établie à 44,52 %, selon des chiffres officiels, gonflés selon les détracteurs.

Initialement prévues en 2022, les élections ont été avancées pour calmer la contestation de fin 2019, expression d’un immense ras-le-bol populaire contre une corruption tentaculaire, des services publics défaillants et une économie en panne dans un pays riche en pétrole.

Réprimé dans le sang – au moins 600 morts et 30 000 blessés –, le mouvement s’est essoufflé après quelques mois. Des dizaines de militants ont été victimes d’enlèvements et d’assassinats, imputés aux factions armées fidèles à l’Iran, au rôle incontournable en Irak.

« Apathie généralisée »

Dans les rues désertes de Bagdad, policiers et soldats étaient déployés dimanche dans la journée, le pays étant toujours secoué par des attentats du groupe djihadiste État islamique (EI). Une attaque contre un bureau de vote dans une zone reculée du nord du pays, attribuée à l’EI par les autorités, a d’ailleurs fait un mort, un officier de police, selon une source sécuritaire.

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Le clerc chiite Moqtada al-Sadr

Le premier ministre Moustafa al-Kazimi s’est, lui, félicité sur Twitter d’avoir « tenu [sa] promesse et rempli [son] devoir en organisant des élections justes ».

Mais les militants de la contestation ont largement boycotté le scrutin.  

« Je parlerais d’une apathie généralisée. Les gens ne pensent pas que les élections aient une importance quelconque », estime le chercheur irakien Sajad Jiyad. « Leurs conditions de vie ne se sont pas améliorées », ajoute-il, en énumérant les pénuries d’électricité et les services publics déficients.

Pour preuve : Abou Aziz, un retraité de Bagdad, a expliqué qu’il n’irait « pas voter tant que les partis et les visages seront les mêmes ».

Les grands blocs traditionnels devraient préserver leur représentation dans un Parlement fragmenté, où l’absence d’une majorité claire oblige à négocier des alliances, selon des experts.

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Un membre des forces de sécurité irakiennes fouille des électeurs devant un bureau de vote de Mossoul.

Le turbulent, mais influent clerc chiite Moqtada al-Sadr, dont la liste est considérée comme favorite, s’est félicité du « succès » du processus électoral.

Comme quasiment toutes les formations politiques disposent d’une faction armée, la crainte de violences et de fraudes est dans tous les esprits. Et 77 personnes ont été arrêtées pour des « violations » électorales, selon les autorités.

« Marchandages opaques »

Quelque 25 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour choisir parmi plus de 3200 candidats.

L’élection des 329 députés se fait selon une nouvelle loi électorale, qui instaure un scrutin uninominal et augmente le nombre de circonscriptions pour encourager, en théorie, indépendants et candidats de proximité.

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Deux hommes cherchent leurs noms sur une liste électorale d’un bureau de vote de Najaf.

En cas de victoire, le courant de Moqtada al-Sadr, ex-chef de milice à la rhétorique antiaméricaine, devra encore composer avec les grands rivaux pro-Iran du Hachd al-Chaabi, entrés au Parlement pour la première fois en 2018, surfant sur la victoire contre l’EI.

Si la scène politique reste polarisée sur les mêmes dossiers sensibles – que ce soit la présence des troupes américaines ou l’influence du grand voisin iranien – les partis entameront de longues tractations pour s’accorder sur un nouveau premier ministre, poste qui revient traditionnellement à un musulman chiite.

« L’élection donnera probablement naissance à un autre Parlement fragmenté. S’ensuivront des marchandages opaques pour former le prochain gouvernement », résument les chercheurs Bilal Wahab et Calvin Wilder dans une analyse publiée par le Washington Institute.