Les proches de Jamal Khashoggi continuent de réclamer justice pour le journaliste et dissident saoudien trois ans après qu’il a été sauvagement tué en Turquie par un commando envoyé de Riyad.

Ils exigent plus particulièrement que le prince héritier Mohammed ben Salmane soit « enfin » sanctionné pour son rôle dans ce meurtre extraterritorial et pressent l’administration du président Joe Biden de revoir son approche en ce sens plutôt que de l’exonérer de facto par une approche jugée trop timorée.

PHOTO TIZIANA FABI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Hatice Cengiz, fiancée de Jamal Khashoggi

« Nous ne cesserons pas nos efforts tant qu’il n’y aura pas eu de véritable prise de responsabilité pour ce crime atroce », a souligné jeudi la fiancée du journaliste, Hatice Cengiz, lors d’une vidéoconférence organisée par Democracy for the Arab World Now (DAWN), une organisation crée par M. Khashoggi avant sa mort.

Elle a assuré qu’elle continuerait de lutter pour faire avancer les objectifs de démocratisation poursuivis par son fiancé tout en pressant Washington de s’attaquer au puissant prince saoudien.

PHOTO FOURNIE PAR LA COUR SAOUDIENNE, ARCHIVES REUTERS

Le prince héritier Mohammed ben Salmane

Biden moins mordant que promis

Durant la campagne présidentielle de 2020, Joe Biden s’en était pris agressivement à l’Arabie saoudite, promettant de ramener le pays au rang de « paria » en raison des exactions imputées au régime.

Son administration, qui souhaitait prendre le contrepied de l’attitude conciliante adoptée par le président Donald Trump, a cependant montré moins de mordant une fois aux commandes.

Des sanctions ont été imposées à de nombreux membres de l’administration saoudienne soupçonnés d’avoir joué un rôle dans le meurtre de Jamal Khashoggi, sans toutefois cibler Mohammed ben Salmane même si un rapport des services de renseignement américains divulgué en début d’année a conclu qu’il avait approuvé l’opération, survenue le 2 octobre 2018.

Le président Biden a plaidé qu’il n’était jamais arrivé que les États-Unis s’en prennent directement au dirigeant d’un pays « allié », en passant sous silence que le prince héritier n’est pas pour l’heure le leader formel du pays.

Des médias américains ont rapporté que l’administration avait voulu éviter une crise ouverte avec l’Arabie saoudite en raison de considérations économiques et géopolitiques, le riche pays pétrolier étant notamment jugé incontournable pour juguler l’influence de l’Iran.

« On sait que ben Salmane a dirigé cet assassinat qui s’inscrit dans une vaste opération visant à faire taire les dissidents établis à l’étranger […] Il a malgré tout échappé à toute responsabilisation, d’une manière qui semble suggérer que ce type de comportement est approprié », déplore la directrice de DAWN, Sarah Leah Whitson, qui demande aussi à Joe Biden de durcir son approche.

PHOTO DENIS BALIBOUSE, ARCHIVES REUTERS

Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnistie internationale et ex-rapporteuse spéciale des Nations unies pour les exécutions extrajudiciaires

« Le roi est nu »

L’ex-rapporteuse spéciale des Nations unies pour les exécutions extrajudiciaires Agnès Callamard, qui participait jeudi à la vidéoconférence, a déclaré que le prince héritier saoudien avait sous-estimé le prix à payer pour ce meurtre, qui a suscité l’indignation à l’échelle internationale.

« Je pense que le roi est nu. L’image de réformateur que Mohammed ben Salmane cherchait à se donner n’existe plus », a-t-elle noté.

Le président Biden, qui a nommé la défense des droits de la personne comme l’un des axes prioritaires de la politique étrangère américaine, risque « aussi de se retrouver nu » s’il n’agit pas plus énergiquement dans ce dossier, a prévenu Mme Callamard.

Il l’est « peut-être même déjà », a ajouté l’ex-rapporteuse, qui avait relevé en 2019 dans un rapport d’enquête l’existence de « preuves crédibles » relativement à la responsabilité de hauts responsables saoudiens dans la mort de M. Khashoggi, dont le prince héritier.

À titre de secrétaire générale d’Amnistie internationale, elle juge aujourd’hui impératif que la communauté internationale se dote d’un mécanisme efficace pour enquêter rapidement sur les exécutions extraterritoriales de ce type et sanctionner leurs auteurs.

Poursuite aux États-Unis

Tout en tentant d’accroître la pression sur Washington, Hatice Cengiz et DAWN ont lancé l’automne dernier une poursuite civile aux États-Unis contre Mohammed ben Salmane et plusieurs membres de son entourage en raison de leur rôle allégué dans la mort de Jamal Khashoggi.

Le prince héritier cherche actuellement à faire valoir par l’entremise de ses avocats que le tribunal n’a pas compétence dans le dossier, une affirmation contestée par les proches de Jamal Khashoggi.

« Nous espérons que le tribunal lui donnera tort et permettra à Cengiz et DAWN de se faire entendre en cour », relève Sarah Leah Whitson.