(Alep) À Khan al-Harir, un souk de la vieille ville d’Alep, les travaux de restauration sont terminés. Mais la joie du commerçant Ahmed al-Cheb est ternie par l’absence de ses fils, contraints de quitter la Syrie en guerre.

Arcades élégantes à la pierre ocre surplombant des ruelles pavées, boutiques aux devantures en bois surmontées de fer forgé.

Après des années de combats destructeurs, Khan al-Harir (marché de la soie en arabe) a fait peau neuve dans la métropole du nord de la Syrie, qui était le poumon économique du pays avant le début de la guerre en 2011.

Situé dans la vieille ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, le souk a été restauré par l’ONG syrienne Syria Trust for Development – soutenue par l’État – en coopération avec la Fondation Aga Khan et le gouvernorat d’Alep.

« Les rénovations sont finies, c’est une bonne chose », confie à l’AFP M. Cheb.

« Mais ce n’est pas suffisant : ce que nous voulons, c’est que nos enfants reprennent ces magasins », soupire le quinquagénaire assis devant sa boutique de tissus.

Sur son portable, il envoie des photos de Khan al-Harir à son aîné Nabhane : installé en Algérie depuis trois ans, il s’est lancé avec ses deux frères dans le commerce du textile.

« Situation économique très difficile »

Des centaines d’hommes d’affaires et de riches commerçants d’Alep avaient quitté le pays après 2011 et délocalisé leurs activités en Égypte, Irak ou Turquie.

Si certains ont fait le pari d’un retour en Syrie, où l’économie reste en berne, la majorité sont restés à l’étranger, menaçant la pérennité des traditions commerciales et artisanales à Alep, qui a attiré pendant des siècles des marchands venus des quatre coins du globe.

« Mes enfants sont en Algérie. Les enfants des autres sont en Égypte ou à Erbil », en Irak, regrette M. Cheb.

Il a lui-même hérité de la boutique de son père, dont un portrait est accroché au mur.

« Beaucoup de professions risquent de disparaître si les enfants continuent d’émigrer et de partir », ajoute-t-il.

Après une reconquête totale d’Alep fin 2016 par l’armée syrienne et son allié russe, les grands chantiers de reconstruction se font attendre, malgré quelques initiatives lancées par des particuliers ou des organisations.

À Khan al-Harir, des dizaines de boutiques et de cafés ont rouvert. Mais d’autres secteurs de la vieille ville affichent encore les stigmates des combats ravageurs.

Sous une arche décorée de pierres blanches et noires, Ahmed Al-Damlakhi, 65 ans, salue des voisins, certains qu’il n’a pas vus depuis des années.

Des ouvriers déchargent des rouleaux de tissus dans la boutique de son frère, qui a émigré en Turquie.

« La réouverture du souk me rend optimiste (..) mais il manque des commerçants et leurs capitaux, éparpillés dans des pays arabes où ils ont lancé leurs affaires », regrette M. Damlakhi.

« La situation économique est aujourd’hui très difficile », déplore-t-il, rappelant par ailleurs que les touristes ne sont toujours pas revenus.

« Obstacles à l’importation »

Il pointe du doigt les sanctions occidentales, « des obstacles à l’importation et l’exportation ».

« Tant que ces conditions n’auront pas changé, il est difficile pour mon frère et ses fils de rentrer », ajoute-t-il.

La guerre, qui a fait près d’un demi-million de morts, a jeté sur la route de l’exil des millions de déplacés et de réfugiés. Le conflit a dévasté les infrastructures du pays. Plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU.

Autrefois, le vieux Alep était célèbre pour son marché couvert, le plus grand au monde avec ses 4000 échoppes et ses 40 caravansérails.

Mais selon l’UNESCO, environ 60 % de ce marché a été gravement endommagé et presque 30 % totalement détruit pendant la guerre alors que la vieille ville était l’une des principales lignes de front à Alep.

Les travaux de restauration de Khan al-Harir, qui compte 60 échoppes, ont duré presque un an.

« Nous avons rencontré des difficultés pour contacter les commerçants à l’étranger, certains n’ayant personne pour gérer leurs boutiques ici », reconnaît Jean Maghamez, qui dirige la branche alépine du Syria Trust Development.

Son organisation veut restaurer deux autres souks. Mais « nous ne pouvons pas agir seuls », plaide M. Maghamez. « Nous avons besoin de la coopération de tous ».