Quand le quotidien rappelle la terreur : quatre ans après la libération de Mossoul, pour une partie de la population, la peur a cédé la place à la détresse psychologique.

(Mossoul ) Déambuler dans les rues du Vieux Mossoul avec Othman al-Maadhidi, 22 ans, s’apparente à une promenade dans un cimetière à ciel ouvert.

Le quartier a vu ce qui a été décrit par des officiers de haut rang de l’armée américaine comme la guerre urbaine la plus intense depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour le jeune Moussouliote, la libération s’est faite dans la douleur et marcher dans les rues, où la destruction est encore visible, entretient des souvenirs douloureux.

Ce dernier a perdu plusieurs proches, dont sa mère, pendant les affrontements entre le groupe armé État islamique et les forces irakiennes et leurs alliés. Certaines de ces pertes ont été causées par les bombardements de la coalition.

PHOTO ADIL BOUKIND, COLLABORATION SPÉCIALE

Othman al-Maadhidi dans une rue du Vieux Mossoul

Au détour d’une rue, les gravats d’un bâtiment encore non déblayés à ce jour représentent l’ancienne maison de ses amis.

« C’est difficile de vivre ici, la destruction n’est pas juste matérielle », explique Othman en regardant l’édifice. « Beaucoup de personnes sont mortes pendant la libération. »

Malgré le chagrin, il était impensable pour le jeune homme et sa famille de revenir ailleurs que dans la demeure familiale reconstruite après un an et un investissement de 10 000 $.

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Othman (deuxième à partir de la gauche) et ses frères tentent de refaire leur vie dans la maison familiale reconstruite après la guerre.

Ils ont tout détruit et nous ont oubliés.

Othman al-Maadhidi

Une guérison difficile pour les femmes

Dans la partie sud de la ville, là où les marques de la guerre sont moins présentes, mais la pauvreté bien apparente, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) a ouvert un centre spécialisé traitant uniquement des cas de santé mentale.

Dans ce centre, les patients sont de manière disproportionnée des femmes. « Le retour à la vie normale est plus facile pour les hommes qui trouvent des emplois et pour lesquels une vie sociale est plus accessible », explique Kithman Ahmead, l’une des psychologues de MSF.

Les femmes sont souvent cantonnées aux quatre murs de leur maison avec très peu de perspectives d’emploi, tout en étant souvent dépendantes de leur famille.

Ç’a été le cas de Hanan, qui a décidé de taire son nom de famille pour des raisons de sécurité. Visiblement encore traumatisée, c’est le regard fuyant et avec un tremblement non maîtrisé qu’elle raconte son histoire.

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Le retour à une vie normale est difficile pour Hanan, 25 ans, encore traumatisée par la guerre.

« Il n’y a rien qui puisse nous donner d’espoir », se lamente cette jeune femme de 25 ans qui a perdu son mari lorsqu’ils fuyaient les affrontements.

Débutées en décembre 2020, les séances de soutien psychologique ont été salvatrices pour celle qui avait jusqu’à très récemment des pensées suicidaires.

Tous sexes confondus, MSF a offert près de 32 000 consultations depuis septembre 2019. Cependant, la crise de la COVID-19 a fait doubler le taux de dépression chez ses patients, passant de 10 à 20 %.

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Plusieurs maisons du Vieux Mossoul détruites pendant la guerre demeurent abandonnées.

Le travail des ONG est donc une bouée de sauvetage dans ce pays où le système de santé compte très peu de professionnels en santé mentale. Il n’y aurait que 138 psychiatres et 60 travailleurs sociaux pour une population de plus de 38 millions, a rapporté en 2020 l’Organisation mondiale de la santé, relayant des données provenant du ministère irakien de la Santé. À cela s’ajoute une certaine réticence d’une partie de la population à aller consulter.

Il y existe encore une stigmatisation de la santé mentale, même si celle-ci est de moins en moins présente.

Kithman Ahmead, psychologue de Médecins sans frontières

Retrouver espoir

Dans certains cas, le soutien psychosocial est apporté à travers des soins de physiothérapie. C’est cette approche qu’a décidé d’adopter Handicap international (connu ici sous le nom Humanité et inclusion Canada). En plus de soigner des personnes blessées par la guerre, l’ONG offre des soins psychosociaux à tous les membres de la famille de la victime. « Nous avons vu beaucoup d’anciens bénéficiaires revenir vers nous pour des soins psychosociaux » depuis la crise sanitaire, raconte Abduljabbar Munther, chef de projet adjoint à Handicap international.

« Souvent, les personnes avec des handicaps ont déjà perdu espoir face à l’avenir », ajoute-t-il.

Parmi ces patients se trouve Ali Raad Adil, 24 ans, blessé par un résidu de missile qui l’a laissé paraplégique. Le jeune a été forcé de passer plus de deux ans après la fin des combats cantonné chez lui faute de fauteuil roulant.

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Ali et son père. Le jeune homme de 24 ans a perdu sa mobilité pendant la libération. Avant le soutien de l’ONG Handicap international, il ne pouvait presque pas sortir de chez lui.

Sa santé mentale était au plus bas pendant cette période où ses seules interactions sociales étaient avec ses amis qui venaient le voir chez lui.

« Au début, je m’isolais beaucoup, mais aujourd’hui je suis redevenu beaucoup plus social », dit-il avec le sourire. Bien que son moyen de transport ne soit plus parfaitement adapté à ses besoins, le jeune homme a repris de l’autonomie et a même pour ambition de lancer son entreprise de réparation de téléphones.

Bien que le cas d’Ali soit encourageant, il reste encore beaucoup de travail à faire, souligne M. Munther.

« Le système de santé a encore besoin d’être soutenu en matière de réadaptation et de santé mentale. Beaucoup de soutien peut être apporté pour aider le gouvernement à renforcer les capacités du personnel de santé, et pour amener des soins en santé mentale dans tous les centres hospitaliers. »

*Ce reportage a été réalisé grâce au Fonds québécois en journalisme international.

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Vue générale du Vieux Mossoul

Trois ans de terreur

Le groupe armé État islamique (EI) est un groupe terroriste issu de la branche la plus extrémiste d’Al-Qaïda. Souvent appelé par son acronyme arabe, Daech, l’EI a pour objectif d’établir un califat au Proche-Orient (Irak, Syrie, Liban). Profitant de l’instabilité politique et régionale, ce groupe terroriste a envahi l’est de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak. En 2014, l’EI a envahi Mossoul et la ville ne sera reprise que trois ans plus tard, en 2017. Bien qu’aucun chiffre officiel n’ait été publié sur le nombre de morts, le conflit en Irak a provoqué le déplacement de 2 millions de personnes dans des camps.