Le camp ultraconservateur est en voie de remporter la présidence en Iran et d’assurer sa mainmise sur l’ensemble des leviers du pouvoir dans le pays lors d’un scrutin prévu vendredi dont le résultat paraît pratiquement décidé à l’avance. 

Le chef de l’autorité judiciaire, Ebrahim Raïssi, proche du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, est en bonne position pour remporter la mise et succéder au modéré Hassan Rohani, qui achève son deuxième et dernier mandat sur fond de crise économique.

Le Conseil des gardiens de la révolution, qui supervise l’élection, a écarté d’emblée des centaines de candidats, dont nombre de réformistes et de modérés, mais aussi des élus conservateurs susceptibles de faire de l’ombre à M. Raïssi, pour n’en garder finalement que sept. Du nombre, trois se sont retirés de la course dans les derniers jours.

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L’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, candidat à la présidentielle iranienne, lors d’un discours à Téhéran, mardi

Un filtrage exhaustif avait aussi eu lieu en 2017. « Le passé se répète, mais cette fois, c’est encore plus radical », souligne Houchang Hassan-Yari, qui enseigne au département de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada.

Il ne voit qu’un candidat susceptible de faire de l’ombre à la victoire annoncée du candidat favori des tenants de la ligne dure, soit Abdolnaser Hemmati, un technocrate qui a longtemps été directeur de la banque centrale iranienne.

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Des partisans du candidat Abdolnaser Hemmati sont sortis mardi dans les rues de Téhéran.

Le responsable du Conseil des gardiens a assuré jeudi à l’Agence France-Presse que la compétition était « sérieuse », faisant écho aux appels du guide suprême, qui appelle la population à participer en grand nombre au scrutin alors que les appels au boycottage se multiplient.

Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), qui regroupe des opposants en exil, s’attend à ce que la participation tombe sous la barre des 40 %.

Un porte-parole de l’organisation, Aladdin Touran, indique que de nombreux Iraniens manifestent ouvertement leur intention de boycotter le scrutin et réclament un « changement de régime ».

Les mères de manifestants tués lors de vagues de contestation durement réprimées par Téhéran au cours des dernières années ont mis en ligne des vidéos où elles clament leur exaspération, bravant ouvertement les autorités.

Le guide suprême préoccupé par sa succession

Le passé de M. Raïssi, qui a été identifié par Amnistie internationale comme un acteur clé d’une vague d’exécutions extrajudiciaires survenues dans les prisons du pays il y a 30 ans, représente une « insulte brutale » pour les personnes ayant été persécutées par le régime, souligne M. Hassan-Yari.

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L’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême iranien

« Il s’agit aussi d’une insulte à l’intelligence de la communauté internationale », relève le professeur, qui soupçonne le guide suprême iranien de vouloir faire élire un élu parfaitement acquis à sa cause pour faciliter la réalisation d’une réforme politique minimisant les risques de tiraillements au sommet de l’État.

Elle verrait, dit-il, le poste de président disparaître au profit d’un poste de premier ministre désigné par le Parlement, actuellement sous le contrôle des ultraconservateurs.

Ali Vaez, spécialiste de l’Iran rattaché à l’International Crisis Group, pense aussi que le guide suprême, qui a 82 ans, est préoccupé par sa succession et projette une réforme structurelle susceptible de « stabiliser le système » tout en garantissant la sécurité de sa famille et la pérennité de sa vision de la révolution.

Les interventions relevées en faveur de M. Raïssi dans le contexte de l’élection indiquent que le régime « est prêt à accepter un certain coût en matière d’image pour s’assurer que le prochain président ne fera pas de remous », même si son pouvoir de nuisance demeure de facto limité, souligne-t-il.

Nucléaire iranien

M. Vaez pense que le scrutin n’aura pas d’incidence majeure sur les négociations relatives au dossier nucléaire iranien, qui sont pilotées à distance par l’ayatollah Khamenei.

Des pourparlers entrepris à Vienne pourraient rapidement mener, dit-il, à l’adoption d’une feuille de route permettant de réintégrer l’accord conclu en 2015 et entraîner la levée partielle de sanctions dont Téhéran a grandement besoin pour relancer l’économie, durement affectée notamment par la pandémie de COVID-19.

Le guide suprême, ajoute l’analyste, pourrait chercher à procéder rapidement pour que le nouveau président bénéficie politiquement de l’afflux de revenus à son entrée au pouvoir tout en attribuant les lacunes de l’accord à M. Rohani.

Le camp ultraconservateur devra, d’une manière ou d’une autre, trouver une réponse aux « griefs légitimes » de la population, en particulier sur le plan économique, s’il veut éviter un nouveau soulèvement, prévient M. Vaez.

« Ils sont assis sur une bombe, peu importe l’ampleur des pouvoirs qu’ils réussissent à concentrer entre leurs mains », dit-il.