Au Yémen, des milliers d’enfants n’ont plus le temps d’aller à l’école. Ils passent leurs journées à mendier sur les routes ou près des mosquées, pour permettre à leur famille de survivre jusqu’au lendemain.

Le représentant du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) au Yémen, Jean-Nicolas Beuze, rencontre régulièrement ces familles qui ont tout perdu dans le conflit qui ravage le Yémen depuis six ans.

L’une d’entre elles avait fui une zone de combats pour se réfugier dans la capitale, Sanaa, contrôlée par les rebelles houthis. Une famille de huit enfants réduits à l’indigence.

« Ces gens n’avaient plus rien, mais vraiment rien de rien, ils dormaient sur le sol dans un appartement misérable », raconte Jean-Nicolas Beuze, joint à Sanaa.

Il se souvient d’un des enfants, un gamin de 6 ans, à qui il a demandé combien il avait pu récolter dans sa journée de « travail ».

Réponse : l’équivalent d’un dollar et demi.

Une mère de famille qui se réfugiait sous une bâche près d’une zone de combats lui a un jour confié qu’elle mourait de peur chaque fois que ses enfants partaient à la recherche d’argent. « Je ne sais jamais s’ils vont rentrer le soir, mais je n’ai pas le choix, sans ça, on ne mange pas », a-t-elle confié au représentant du HCR.

C’est le 26 mars 2015 que le conflit civil qui déchirait depuis un an le Yémen s’est transformé en une guerre régionale. Ce jour-là, une coalition dirigée par l’Arabie saoudite a mené ses premiers bombardements contre les forces des rebelles houthis, soutenues par l’Iran.

Six ans et plus de 200 000 morts plus tard, le Yémen se désagrège dans l’indifférence générale. Cinq millions d’habitants de ce pays ravagé ont dû fuir leur lieu de résidence. La moitié des infrastructures médicales se sont écroulées sous les bombes. Deux personnes sur trois dépendent de l’aide humanitaire pour survivre. Et des millions frôlent la famine.

L’embargo imposé par l’Arabie saoudite sur les zones contrôlées par les rebelles a asphyxié l’économie, provoquant, entre autres, une pénurie de carburant. Dans les hôpitaux qui continuent à fonctionner, des blocs opératoires sont fermés, faute d’électricité.

Pire crise

Il existe actuellement une cinquantaine de lignes de front au Yémen, signale Jean-Nicolas Beuze, et ces combats mouvants font obstacle à la distribution de l’aide alimentaire.

C’est, selon l’ONU, la pire crise humanitaire de la planète. Une crise accentuée par l’épidémie de COVID-19 qui a étouffé ce qui restait de l’économie du Yémen, alors que le pays doit maintenant composer avec une nouvelle vague de contamination.

Récemment, les houthis ont rejeté l’offre de cessez-le-feu de la coalition saoudienne. Ils ont plutôt intensifié leur offensive contre Marib, ville pétrolière contrôlée par le gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, qui jouit d’une reconnaissance internationale. Au moment d’écrire ces lignes, il n’y a aucune perspective d’apaisement à l’horizon.

Comme des zombies

Pas étonnant que la population du Yémen soit au bout du rouleau, comme le souligne Abdulwasea Mohammed, un responsable d’Oxfam au Yémen.

« On regarde les gens dans la rue, leur visage, leur posture, ils n’ont plus de vie, ils sont comme des zombies », confie ce travailleur humanitaire qui vit à Sanaa.

On sent qu’ils sont préoccupés par mille soucis, qu’ils pensent à leur bébé resté à la maison qu’ils n’arrivent pas à nourrir.

Abdulwasea Mohammed, responsable d’Oxfam au Yémen

Oui, le conflit a réduit de nombreux enfants à la mendicité, confirme Abdulwasea Mohammed.

Mais les mariages précoces ont aussi explosé. Les mariages conclus avant l’âge de 18 ans sont passés de 52 à 66 %, selon Céline Füri, coordonnatrice humanitaire à Oxfam-Québec.

Quand ils le peuvent, les enfants travaillent. Notamment dans la culture du khat, cette plante aux effets psychotropes dont on tire un puissant narcotique. En dernier recours, ils fouillent dans les poubelles à la recherche de nourriture.

Conflit « sous cloche »

Abdulwasea Mohammed raconte l’histoire d’une femme dont le mari est parti dans une région proche d’une ligne de front, dans l’espoir d’y trouver un boulot.

Le couple avait un bébé d’une semaine. Trois semaines après être parti à la recherche de moyens de subsistance, son mari a été tué dans un bombardement. Abdulwasea Mohammed n’arrive pas à chasser l’histoire de cette femme de son esprit.

Les Yéménites sont un peuple fier, ils ne veulent pas perdre leur dignité, ils meurent en silence.

Abdulwasea Mohammed, un responsable d’Oxfam au Yémen

Depuis la pandémie, les familles yéménites ne reçoivent plus d’argent de la part de leurs proches qui ont émigré, et dont les ressources ont fondu. Et contrairement à d’autres guerres, comme celle qui a dévasté la Syrie, les Yéménites n’ont nulle part où fuir. Les routes de l’exil sont pratiquement bloquées.

La frontière avec l’Arabie saoudite est infranchissable. Pour fuir vers Oman, à l’est, il faut traverser des territoires désertiques contrôlés par Al-Qaïda et Daech. Des désespérés optent pour une traversée périlleuse du golfe d’Aden, où sévissent des trafiquants sans merci. Quand ils survivent à cette épreuve, c’est pour se retrouver en Somalie, où leur sort n’est pas tellement meilleur.

En l’absence de réfugiés en fuite, la guerre du Yémen est peu visible. Résultat : les dons humanitaires sont loin, très loin de répondre aux besoins. L’an dernier, les bailleurs de fonds internationaux n’ont fourni que la moitié de l’aide humanitaire nécessaire au Yémen. Et les besoins sont encore plus grands en 2021.