La justice iranienne a annoncé lundi qu’un mandat d’arrêt visant une trentaine de personnes, notamment le président américain, Donald Trump, et plusieurs responsables militaires des États-Unis, avait été lancé en lien avec l’assassinat ciblé en janvier du général Qassem Soleimani.

Le procureur général de Téhéran, Ali Alqassi-Mehr, a indiqué que les personnes mises en cause étaient recherchées pour « meurtre » et « action terroriste » et qu’une demande avait été faite auprès d’Interpol pour qu’un avis de recherche international soit lancé à leur sujet.

L’annonce a suscité un désaveu rapide de l’envoyé spécial américain pour l’Iran, Brian Hook, qui a décrit l’initiative comme une « combine politique » n’ayant aucune chance d’être relayée par l’organisation policière internationale.

« C’est de la propagande que personne ne prend au sérieux et qui fait passer les Iraniens pour des idiots », a souligné M. Hook dans une déclaration rapportée par l’Agence France-Presse.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, a indiqué lundi que la démarche iranienne était largement « symbolique » et destinée d’abord et avant tout à la population du pays.

Le mandat d’arrêt, dit-il, « n’a aucune chance d’aboutir et n’ira nulle part », même si des questions légales légitimes se posent quant à la manière dont Qassem Soleimani a été éliminé.

Une majorité d’experts en droit international « disent que l’opération était potentiellement illégale », relate M. Juneau en évoquant la mort du général, frappé par un drone américain alors qu’il quittait l’aéroport de Bagdad dans un convoi le 3 janvier.

L’attaque contre le militaire, qui a été tué en même temps que le chef d’une milice irakienne acquise à Téhéran, avait été approuvée par le président américain.

Donald Trump a indiqué qu’elle visait à venger des attaques orchestrées par le passé par Qassem Soleimani. Il a ensuite précisé que le général iranien préparait de nouvelles attaques contre des ambassades des États-Unis, évoquant une notion de « menace imminente » souvent utilisée par Washington pour justifier des frappes de drones à l’étranger dans des pays avec lesquels les États-Unis ne sont pas en guerre.

Vives réactions

L’opération américaine à Bagdad avait suscité des réactions indignées de la part du régime iranien, qui a visé quelques jours plus tard des bases irakiennes où se trouvaient des soldats américains en guise de représailles.

Craignant une contre-attaque, les forces iraniennes ont abattu un avion civil qui quittait Téhéran, tuant 176 personnes, dont des dizaines de Canadiens.

Tant l’attaque contre Qassem Soleinmani que le sort tragique des passagers de l’avion demeurent des sujets « très sensibles » en Iran, relève M. Juneau, qui décrit le mandat contre le président Trump comme une tentative des dirigeants iraniens de mobiliser la population à un moment critique.

Le régime est très conscient de sa vulnérabilité. Le fait de détourner l’attention vers des ennemis extérieurs est un stratagème classique.

Thomas Juneau

L’Iran est durement frappé par la pandémie de COVID-19 et avait officiellement recensé en date de lundi plus de 225 000 cas d’infection et près de 11 000 morts.

L’ayatollah Ali Khamenei a sonné l’alarme au cours de la fin de semaine en relevant que nombre d’Iraniens avaient « relâché leurs efforts » pour endiguer la propagation du nouveau coronavirus, favorisant une nouvelle flambée.

Les mesures de distanciation physique ont exacerbé les difficultés économiques du pays, qui est durement touché par ailleurs par les sanctions américaines, relève Thomas Juneau.

Donald Trump a renié en 2018 l’accord nucléaire qui avait été conclu sous la gouverne de son prédécesseur, Barack Obama, et cherche à faire monter la pression sur le régime iranien pour le contraindre à négocier une nouvelle entente.

Le chef d’État américain a de nouveau pressé publiquement il y a quelques semaines les dirigeants iraniens de revenir à la table pour discuter, mais le scénario paraît improbable à ce stade, relève M. Juneau.

Les dirigeants iraniens, dit-il, espèrent qu’une victoire de l’ancien vice-président démocrate Joe Biden au scrutin présidentiel de novembre leur permettra de renouer avec un interlocuteur plus conciliant.

« Il ne va rien se passer dans le dossier nucléaire avant 2021 », conclut le professeur de l’Université d’Ottawa.