(Ankara) Le président turc Recep Tayyip Erdogan a exhorté vendredi son homologue russe Vladimir Poutine à « freiner » le régime syrien dans la province rebelle syrienne d’Idlib, qui fait l’objet d’une intense activité diplomatique destinée à mettre fin aux combats et à une situation humanitaire désastreuse.

L’offensive menée par le régime du président Bachar al-Assad avec l’appui de Moscou pour reprendre Idlib, dernier bastion rebelle dans le nord-ouest du pays, a sérieusement mis à mal l’entente entre MM. Erdogan et Poutine qui coopéraient étroitement depuis 2016 en vue de mettre fin au conflit en Syrie, où ils soutiennent pourtant des camps opposés.

Lors d’un entretien téléphonique avec le maître du Kremlin, M. Erdogan « a souligné que le régime doit être freiné à Idlib et que la crise humanitaire doit prendre fin », a indiqué la présidence turque.

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Des tentes de réfugiés érigées dans la cour d’une école désertée à Azaz, en Syrie aujourd’hui.

M. Erdogan a en outre souligné qu’une solution à la situation explosive à Idlib passait par « la pleine mise en œuvre de l’accord de Sotchi » parrainé en 2018 par les deux dirigeants pour faire taire les armes dans la province, mais qui vacille depuis plusieurs semaines.

Vladimir Poutine a de son côté assuré à son homologue turc être « gravement préoccupé » par les « actions agressives » des djihadistes dans la région d’Idlib. Selon le Kremlin, les deux hommes ont convenu d’« intensifier les consultations bilatérales à propos d’Idlib, dans le but de réduire les tensions, garantir un cessez-le-feu et neutraliser la menace terroriste ».

Avant cet entretien, M. Erdogan a discuté au téléphone de la situation à Idlib avec les dirigeants français Emmanuel Macron et allemand Angela Merkel qu’il a appelés à « des actions concrètes pour empêcher une catastrophe humanitaire », selon la présidence turque.

« Déterminant »

Jeudi, la chancellerie allemande avait annoncé que Mme Merkel et M. Macron avaient exprimé leur « inquiétude » concernant la « situation humanitaire catastrophique » à Idlib lors d’un entretien téléphonique avec M. Poutine, dont le pays est le principal soutien du régime de Damas.

Ils « ont exprimé leur volonté de rencontrer le président Poutine et le président turc Erdogan pour trouver une solution politique à la crise », a ajouté la chancellerie.

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Des rebelles soutenus par la Turquie tirent au canon sur l’armée syrienne ayant avancé près du village de Neirab, dans la province d’Idlib, le 20 février.

À Moscou, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a indiqué vendredi que « la possibilité de la tenue d’un sommet est en discussion ».  

Dans des déclarations à la presse à Istanbul avant de parler avec son homologue russe, M. Erdogan a affirmé que cet entretien « déterminera notre attitude pour la suite » concernant Idlib.

« Aussi longtemps que le régime (syrien) poursuivra sa cruauté, il est hors de question pour nous de nous retirer de là-bas », a-t-il ajouté.

Aux termes d’un accord avec Moscou, la Turquie, qui soutient des groupes rebelles, dispose de douze postes d’observation militaires dans la province d’Idlib, dont plusieurs se retrouvent désormais dans des zones que le régime d’Assad a reconquises à la faveur de son offensive lancée en décembre avec l’appui de l’aviation russe.

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Un chasseur-bombardier Sukhoi Su-24 russe, décollant de la base russe de Hmeymim, près de Lattaquié, en Syrie.

La Turquie a annoncé jeudi que deux de ses soldats avaient été tués par une frappe aérienne attribuée au régime syrien, portant à 16 le nombre de militaires turcs tués dans le nord-ouest de la Syrie depuis début février.

Le ton ne cesse de montrer entre Ankara et Moscou, qui semble déterminé à aider le régime syrien à reconquérir Idlib à tout prix, ce qui fait craindre un affrontement sur le terrain entre les deux pays.

Environ 900 000 personnes, en vaste majorité des femmes et des enfants, ont fui depuis décembre, selon l’ONU. Jamais la Syrie, en guerre depuis 2011, n’a connu un tel exode sur une période aussi courte.

« Énormes souffrances »

Si la Turquie se préoccupe autant de la situation dans cette région frontalière, c’est parce qu’elle redoute l’arrivée sur son sol d’une nouvelle vague de réfugiés. Le pays accueille déjà plus de 3,6 millions de Syriens.

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Des civils syriens réfugiés près de la frontière turque, dans le village de Mehmediye, font la queue pour obtenir de l'aide humanitaire.

Les dirigeants de l’Union européenne, réunis vendredi à Bruxelles, ont appelé à la cessation de l’offensive militaire « inacceptable » à Idlib.

Jeudi, l’armée russe a indiqué avoir mené des frappes pour stopper une attaque de factions armées soutenues par Ankara contre des positions du régime, appelant la Turquie à « cesser de soutenir les actions des groupes terroristes et de leur donner des armes ».

L’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une ONG, a rapporté que des groupes appuyés par la Turquie avaient lancé une offensive dans la région d’Al-Nayrab, au sud d’Idlib, faisant état de 25 combattants tués dans les deux camps.

Selon Moscou et l’OSDH, l’artillerie turque a bombardé des positions du régime pour soutenir cette attaque.

M. Erdogan a sommé à plusieurs reprises les forces d’Assad de se retirer de certains secteurs à Idlib avant fin février, menaçant sinon de recourir à la force.